vendredi 29 juin 2007

Pour vous, un autre texte, plus récent celui-là. Je n'y suis pas particulièrement attachée, il me rappelle surtout à quel point je bûchais pour écrire cet hiver, rien ne me satisfaisait, tout était à peu près de la merde. Cet écrit est basé sur un exercice ciblant le personnage fait en classe en février 2007.


Nat

Nat émerge tranquillement d’une torpeur douloureuse. Il fait noir, trop noir. Elle entend un violon au loin jouant une musique très lente, triste, presque ennuyante. Les pleurs d’un enfant viennent briser la langueur de l’instrument.

Nat a froid. Elle sent sur sa peau la fraîcheur du métal qui lui coince les poignets. Elle aimerait repousser la tresse qui lui chatouille le menton, mais en est incapable. Son épaule droite la fait souffrir; elle ne sait pas depuis combien de temps elle gît sur ce qui semble être du ciment inégal.

Elle ignore beaucoup de choses, en fait. Comme la température, dehors, et la date d’aujourd’hui. Ou encore la raison pour laquelle l’enfant hurle. Ce qu’elle a fait pour s’éveiller dans cet endroit. Et aussi l’identité exacte des créatures qu’elle perçoit bouger près d’elle. Les bêtes en question frôlent et dérangent son chandail ample, produisent un couinement glauque. Des rats, se dit Nat. Elle grimace. Elle se sent tanguer d’avant en arrière à l’occasion. Est-elle dans une cale d’un quelconque bateau? Où sont ses parents?

Puis elle se rend compte que la complainte du violon a cessé. Elle discerne des voix d’hommes, elle les imagine qui s’approchent d’elle. Elle n’en reconnaît aucune et ne saisit rien de leur échange. Elle ne peut même pas deviner à combien d’individus appartiennent ces tons agressifs. Nat tremble. Ses quatorze ans lui disent qu’elle est trop jeune pour être violée. Mais peut-être a-t-on abusé d’elle durant son sommeil? Elle ne se souvient de rien.

Les hommes s’éloignent en aboyant. Le bébé poursuit ses lamentations, encore plus fort. Au même moment, le violon entame un air différent mais, comme le précédent, il est sans rythme. Nat ne peut retenir les larmes qui lui montent aux yeux. Il faudrait bien qu’elle sorte d’ici un jour, même si «ici» n’est que noirceur et bruits, et qu’elle ne sait pas où aller pour s’enfuir.

Elle s’efforce de se remettre sur ses pieds. Elle ne réussit qu’à sa troisième tentative, le sol s’amusant toujours à la bercer. Les murs qu’elle ne voit pas se mettent à grincer. Leurs plaintes, ajoutées à celles du bambin et du violon, lui enflent les oreilles. Elle fait quelques pas, les genoux pliés et le haut du corps penché vers l’avant. Son front se cogne contre une paroi glacée. Elle recule d’un geste brusque, puis tente de s’y appuyer. Elle s’aperçoit qu’elle est à bout de souffle, elle s’accorde donc quelques secondes pour retrouver une respiration normale.

Mais Nat suffoque toujours. Et elle ne peut s’empêcher de hurler : «Au secours!». Plusieurs fois. Puis elle frappe le mur avec ses menottes trop serrées. Son corps penche vers la gauche et les bruits sourds de la cale—elle est maintenant certaine d’être sur l’eau, à l’intérieur d’un navire—recommencent. Elle frissonne, encore plus qu’avant.

Elle entend le son d’une clé qui s’active dans une serrure. Des poignes fermes se posent sur ses bras et la font s’asseoir sur le ciment froid. Elle parle, demande qui est là. Les hommes conversent dans une langue qu’elle ne comprend pas.

Nat pleure. Un des hommes se met à rire. L’écho de ses gloussements la fait frémir. Les autres se joignent au ricaneur. Elle se demande ce qu’ils ont fait du bébé, il ne chiale plus.

Puis Nat voit rouge. Nat s’évanouit.

vendredi 22 juin 2007

En avril 2006, dans le cadre d'un cours, on nous a demandé d'écrire un texte portant sur le bonheur. Voici donc le bonheur pour moi, soit le souvenir d'un contact avec un être adoré, tel qu'il a émergé dans mes idées au beau milieu de mon désespoir. Neil, mon professeur, m'avait même désignée pour en faire la lecture en classe. Je l'ai fait, en tremblant comme jamais. Ma voix ne voulait pas suivre non plus. J'ai presque éclaté en sanglots après m'être exécuté. C'est l'effet que tu me fais, ô toi-qui-m'a-inspiré-ce-texte, quand je ne vais pas bien mais que je t'ai en pensées pour remettre à plus tard mes projets d'auto-destruction. Merci :)

C’est donc ça, respirer…

Mes pas s'ordonnent les uns après les autres, tracent un chemin, décident de la distance à parcourir. Je les laisse me guider, et ne marche que pour marcher. Pour penser.

Puis j’entends mon nom au milieu de mes idées. Quelqu’un m’appelle, se heurte à mes songes. Je ralentis la cadence. On me hèle encore une fois. Une voix familière.

Je me retourne et te vois. Enfin. Tu es là à te diriger vers moi. Cela faisait… trop longtemps, que nous nous étions vus. Je reconnais tes cheveux foncés. Tu les as laissés pousser depuis.

Sans me déplacer, je t’observe avancer au pas de course, comme au ralenti, les poings serrés et relevés à la hauteur de tes coudes. Je fixe tes grandes mains nues et devine qu’elles sont chaudes, malgré l’air crispant de janvier qui s’amuse à égratigner les bouts de peau dégagée des passants.

Des frissons me percent les veines. Je relève la fermeture éclair de mon manteau dodu, resserre mon foulard et remonte mes mitaines sur mes poignets. Question de m’occuper tandis que je te guette. Mes pieds piétinent le seul coin d’asphalte qui ne se cache pas sous une couche de glace ou un filet de neige. J’entends en sourdine le moteur des voitures qui s’arrêtent et s’alignent à l’intersection à ma droite.

Mes oreilles bourdonnent et mes tempes se font lourdes alors que tu t’arrêtes devant moi. Je distingue enfin tes doux yeux sombres. Les miens pétillent, sans doute.

Tes bras s’ouvrent et je m’y jette. Mes mains s’accrochent derrière ta nuque. Tu murmures quelques mots que je ne saisis pas, ta voix s’étant évanouie quelque part entre trois ou quatre mèches de mon épaisse chevelure bouclée. J’échappe un petit gémissement, comme si j’avais compris, comme si j’acquiesçais.

Je ferme les yeux. Tu me soulèves de terre, mon poids t’est tout entier. Mes longues jambes pendent près des tiennes toujours ancrées au sol. Je tends la pointe de mes orteils afin de rejoindre la surface ferme, mais ne souhaite pas l’atteindre, de peur que tu me reposes par terre.

Des milliers de pincements chauds bougent en moi et des centaines de décharges s’agglutinent dans ma gorge. De par mon étreinte, je t’oblige à demeurer là. Comme ça.

J’ouvre mes yeux. Les gens à l’intérieur des véhicules tout près nous dévisagent. Mes joues s’empourprent, je te serre encore plus fort. Tu me fais valser en pivotant un tour sur toi-même, puis me déposes.

Je ne te laisse pas partir pour autant. Ta barbe de quelques jours me pique le visage. J’enfouis mon nez dans le col de ton manteau de coton léger pour voler un peu de ton odeur, afin de la mémoriser à nouveau et m’en faire une réserve, pour les autres jours où je ne te verrai pas.

J’inspire, j’expire. Je réalise que je respire mieux, comme ça dans tes bras, maintenant que je te vois. Ces nouvelles bouffées d’air me désaltèrent. J’emplis mes poumons une autre fois, soutiens l’oxygène, l’emprisonne, puis la libère. C’est donc ça, respirer…

Tu relâches ton emprise, m’écartes un peu et me demandes de rester là, pour que tu puisses «contempler», comme tu dis. Nous discutons. De quoi au juste, je ne sais trop. Mes paumes sont moites, je retire mes gants.

Tu m'annonces que tu dois partir et retourner à tes commissions. Je réplique que je dois reprendre ma marche, de toute façon. Tu m’invites à une nouvelle embrassade et j’y plonge sans hésiter. Mon front se place d’instinct dans le creux de ton épaule. Je sens ton torse près de ma poitrine, ton ventre contre le mien, tes hanches sur les miennes, même sous l’épaisseur de nos vestes d’hiver. Tes doigts se promènent dans mes cheveux, les caressent. Je veux rester là.

Nous nous séparons puis nous disons au revoir. Le souffle coupé, je renfile mes mitaines, te tourne le dos et poursuis ma promenade, légère.

Flottante.


mercredi 20 juin 2007

Ah la la. Je pense à toi. Maintenant, trop souvent, tout le temps. T'es le petit film réconfortant qu'on regarde sans cesse même si on en connaît le dénouement.

Je me souviens ce que t'étais, ta peau, la mienne, nos mains, ta bouche, nos corps. Enlacés, fatigués, serrés. Ton sourire entre deux baisers, ton regard agité. Tes lèvres... Je me souviens de tes lèvres. De tes cheveux, que t'avais fait couper avant de partir.

Je me rappelle comment t'étais. Taquineur, moqueur, drôle, très drôle. Mais rassurant aussi, si rassurant... Ta voix pour me consoler, me réchauffer. T'étais là, ou t'appelais. Tu appelais puis tu arrivais. T'écrivais, me racontais. Tu m'écoutais. Je me rappelle nos banalités. Sublimes banalités. Je me rappelle de toi enfant comme tu me l'expliquais, et de ce que je te partageais.

Pour me convaincre que j'ai vécu, je pense à toi. Je me revois à tes côtés quand j'ai besoin de savoir que ça se peut. Que tout se peut. Pour me sentir belle, je me répète tes paroles. Celles même d'après. Et j'espère que mon petit quelque chose ne s'efface pas de ta vue, mon petit quelque chose que toi seul vois de cette façon-là.

Quand j'ai rien à rêver, je m'imagine que tu débarques ici. Ou que tu lâches un coup de fil, et que nous nous revoyons. À chaque fois, c'est la même chose mais c'est nouveau, c'est avec toi et j'aime ça. À chaque fois. Il m'arrive même parfois de tasser mes autres songes pour te faire de la place dans ma tête.

Je t'écouterais tout le temps. Te verrais, à tous les jours, si ce n'était que de moi. Juste pour que tu sois là. Mais en même temps, je vis très bien sans toi. Je ne m'ennuie plus de toi. T'es juste... bien présent, quelque part sous ma peau.

T'es pas obligé de savoir tout ça. J'ai peut-être pas le droit de dire ces choses-là.

Mais bon.

dimanche 17 juin 2007

Je crois que j'aime encore plus ce texte-là. C'est un peu la suite ou un complément de l'autre. Je l'ai écrit en pleine nuit, en même pas une heure, si je me rappelle bien. Ç'a très bien coulé, comme écriture! Et je l'ai à peine retouché... Il a su faire rire certaines personnes, en tout cas!


Mais qu'est-c'est qui se passe?


Y faudrait que je dorme. Tout’suite, là. Pis c’est pas l’envie qui me manque d’arracher la ‘tite mosus de radio fatigante, avec la dispatcher qui me baragouine à tout bout d’champ où c’que les autres chars de patrouille sont rendus. Si au moins y m’avaient donné un partner, j’aurais quelqu’un avec qui jaser. Ça me tiendrait réveillé. Mais non, Lebeau, y travaille tout seul, lui. Y’est indépendant, lui. Y connaît la job, y’est capable de la faire comme du monde, sans l’aide de parsonne.

Peut-être. Mais pas aujourd’hui. Ouais, ok, ça fait vingt-cinq ans c’te année que je suis dans le service de police de la grand’ville, mais pareil. Un homme a ben le droit de se coucher tard la fin de semaine, pis de pas être en forme, un lundi matin. Au yâble l’expérience, j’ai pus mes réflexes. Ça coûte cher, ça, sur le terrain. Une distraction, ça pardonne pas. Pis là je sens que plein d’affaires me passent sous le nez, en plus.

Comme au dépanneur, tiens, de l’autre côté de la rue. Probablement le commerce le plus malpropre du quartier. Avec ses briques brun marde, ses barreaux derrière les châssis, ses néons qui blinkent même en plein jour pis sa grande cour arrière remplie de déchets pis de gréments, ça sent le recoin de deal de dope à plein nez. Le petit baveux aux cheveux huileux que je vois sortir de là, justement, lui y’a l’air malhonnête. C’est le gars du cousin de mon voisin d’en face, me semble. Bob me l’avait présenté pendant leur barbecue annuel l’an passé. Le p’tit maudit avait même pas été capable de me serrer la main pis de me regarder dans’yeux. Ça s’ra pus ben long avant qu’y soit en dedans, ce jeune-là!

Mais ce sera pas pour à matin. J’ai pas envie de m’lever de mon siège. Au moins, y m’en ont donné un pas trop cheap, un char, aujourd’hui. Y’a l’air climatisé. Avec des journées de même comme on a ce mois-ci, ça prend de l’air frette pour endurer les heures à faire de la surveillance. Ben beau les vitres ouvartes, mais y fait chaud à ce temps-ci de l’année, pis quand on roule pas, ben y’a pas trop d’air de dehors qui t’r’vole dans face!

Y’auraient pu faire le ménage, par exemple. Le dash est plein de poussière… Pis le volant est un peu crasseux. Les bancs sont confortables, au moins. J’aime ça, ceux-là en doudou. Mais ça m’aide pas à rester alerte. J’ai juste envie de baisser le siège pis de m’étendre. De me farmer les yeux…

Y faut pas! Garder les yeux rouverts. Regarder autour… Tout est bleu foncé ici d’dans. Ça change du vert du gazon qu’y a dans le parc d’en face. Y’a ça de bon avec c’te saison-ci c’te année, l’harbe pousse pis ça verdit! Les enfants peuvent jouer dehors, comme la p’tite qu’y a là là, tout’suite. Une blonde. Pareille à la fille de la dispatcher. La gardienne est pas laite en tout cas. Avec sa belle p’tite jupe courte serrée…

Pense pas à ça, Lebeau, concentre-toi là! Focus! Je pense j’vas aller me chercher un autre café au Dunkin. Pratique, c’te poste d’observation-ci, pour nos patrouilles. Direct dans le stationnement du Dunkin! Je me parke toujours vis-à-vis entre les lettres «k» pis «i», la face vers le parc. Je sais pas pourquoi, c’est mon spot. Je couvre ce qu’y a en avant de moi, pis l’église à l’autre coin, pis aussi le dépanneur à droite. L’idéal.

Quelle heure qu’y est là? Onze heures moins quart. Fait juste une demi-heure que j’ai pris mon deuxième café de la journée. J’pourrais attendre queques menutes encore…

Là les yeux me ferment solide. J’pense m’as y aller tout’suite pour le café, pis m’as me prendre un beigne en même temps, tiens. Faut juste je me lève là, pas évident quand t’as les jambes en compote comme ça… J’pense ma femme a raison, faudrait que je perde queques livres de tour de taille aussi. ‘Cré Rita, je l’ostine ben, mais dans le fond…

Mais qu’est-c’est qui se passe? Voyons, y va donc ben vite ce camion-là! Y’aura pas le temps d’arrêter à lumière! Breake, viarge! Pis le char dans l’autre lane qui vire comme un malade…

Oh shit!

BANG.

Ouais ben, ça ça réveille… Bon, faudrait ben j’appelle la dispatcher, moi là…

La journée s’annonce plus longue que j’pensais. M’as être encore pogné à faire du temps de surplus… Pis j’vas arriver en retard pour l’souper!

(Février 2006)

samedi 16 juin 2007

Je l'aime, ce texte-là. L'écrire a été assez facile, et puis c'est ma façon de dire que je n'accepterai jamais d'être une moitié d'un couple de ce genre!


On va être en retard

Les mains crispées sur le volant de la voiture, j’attends que le feu passe au vert. Je risque de manquer ma vie à cause de Marie-Jo. De passer à côté de tous les spectacles, les entrevues, les sorties entre amis, le travail. Ma copine m’a transmise sa mauvaise habitude le jour où nous sommes emménagés ensemble, m’embarquant dans son manque flagrant de ponctualité, dans son besoin de se faire attendre. Désormais, dans la vie, tous les jours, je suis en retard. J’existe à retardement, j’apparais plus tard que prévu, comme Marie-Jo. À cause de Marie-Jo.

Je tourne un peu le visage vers elle. Elle n’intercepte pas mon regard chargé de reproches sous mes sourcils tordus, trop occupée qu’elle est à s’enduire les lèvres de rose pour la quinzième fois. Je laisse échapper un soupir de la façon la plus silencieuse qui soit, en formant un «O» avec mes lèvres, sachant qu’elle n’aime pas la plupart des sons qui sortent de ma bouche.

Aujourd’hui, elle menace de nous faire rater l’avion. Petit voyage à Atlantic City. Je vais être seul avec elle en terrain américain, à partager pendant cinq jours une minuscule salle de bains de chambre d’hôtel trois étoiles. Celle avec le meilleur rapport qualité/prix, selon ma blonde, qui a passé plus de trois semaines à choisir un gîte convenable, ce qui a retardé notre départ de quatre jours.

Afin d’évacuer mon surplus de vapeur au cerveau, j’entrouvre la fenêtre après avoir accéléré de manière brusque. Ma blonde lâche un «hum hum» désapprobateur. Elle n’apprécie pas la marque de couleur qui passe maintenant du coin de ses lèvres jusqu’au milieu de sa joue. Je grogne un «désolé» qui se veut sincère pour qu’elle m’oublie et qu’elle retourne à son beurrage de face au plus vite.

J’ouvre un peu plus la vitre. Mes shorts se sont mis à coller contre le cuir grisâtre de mon siège. C’est la même chose à tous les jours où il fait beau et chaud. Encore une bonne idée de Madame, qui préférait des «bancs de riches» à une climatisation pour notre auto. Ce matin, elle-même maudit son choix. Elle a complété son maquillage, et je la vois du coin de l’oeil qui chigne en séparant ses cuisses nues du cuir avec un petit bruit de pansement qu’on enlève. Elle replace sa jupe froissée.

- On va être en retard.

Ne pas exploser. Surtout, garder son calme, malgré l’intention évidente de sa part d’amorcer une dispute. Garder les yeux sur l’asphalte, sur les arbres qui bordent le trottoir, sur les gens qui courent vers les commerces alignés sur le boulevard.

- T’avais juste à être prête à l’heure...

- C’est toi qui es sorti de la salle de bains tard!

Ça y est. Une accusation formelle. Je ne me laisserai pas faire, tout de même.

- Juste parce que toi, tu l’as monopolisée pendant deux heures! Je t’avais demandé de me laisser y aller avant, que ça me prendrait quinze minutes, mais non, faut toujours que je passe après toi!

Ma blonde se tourne sur son siège qui craque et plante ses yeux bleus pétillants sur moi. Du coin de l’oeil, je la vois poser son coude contre la portière et enrouler une mèche de cheveux entre ses doigts.

- Mais oui, mais tu laisses plein de poils partout dans la douche!

Il ne faut pas frapper une femme. Je redresse le rétroviseur, question d’occuper mes mains. Une sur le volant, l’autre sur le miroir. Ne JAMAIS frapper une femme... Surtout que nous quittons peu à peu le centre-ville pour s’approcher en douceur du quartier de mon enfance. La bretelle pour rejoindre l’autoroute n’est plus très loin. J’aurai ainsi fait la moitié du parcours sans m’emporter. Sans trop m’emporter.

- Parlons-en, de poils! Ceux de ton vieux chat myope, y’en a sur mes toasts le matin!

- Laisse Bertrand en dehors de ça, c’est quand même pas de sa faute si y perd son duvet!

- Duvet mon oeil, on pourrait se faire des tapis pour toutes les pièces de la maison avec les touffes qu’il...

- Arrête de chialer pis tourne au dépanneur qu’y va avoir en face, à gauche à l’intersection. J’ai envie.

- On est à veuille d’arriver à l’aéroport! Tu iras là.

- Tourne ici j’ai dit!

Je ralentis. Marie-Jo appuie ses mains contre le tableau de bord chromé et pianote de ses dix doigts un air symphonique.

- Ok... Je vais y aller moi aussi d’abord.

- T’iras après.

Je me pince les lèvres. Je les sens devenir plus blanches de seconde en seconde.

J’aperçois le dépanneur. C’est celui juste en face de l’église où mes parents m’emmenaient quand j’étais petit. L’église dans laquelle Marie-Jo veut que nous nous marions, un jour... J’appuie sur le frein et le véhicule s’immobilise au feu rouge.

- C’est ici à gauche, oublie pas. Le dépanneur est juste là au coin.

- Je le sais. Je le vois.

Elle lâche un soupir. Du genre qu’elle me reproche de faire. Je pense un instant à la sortir de force de la voiture et à la livrer à la jeune fille qui pousse une enfant sur la balançoire dans le parc à notre droite, mais la lumière verte me signale que c’est à mon tour d’avancer. Je redémarre en donnant un coup abrupt au volant.

- Pierre, attention!

BANG.

C’est un râlement rauque qui finit par me tirer hors de ma transe. J’écarte un peu mes paupières lourdes. Je vois ma blonde qui agonise, qui se meurt à mes côtés.

J’ai mal. Je perds le souffle...

Allez, Marie-Jo, meurs. Que je puisse crever après toi.


(Février 2006)

vendredi 15 juin 2007

Ce texte a aussi fait partie du recueil Graines d'écrivains. Il nous a également inspiré, à Pierre-Luc et à moi, la performance que nous avons présentée en mars 2006 au show de variétés des étudiants littéraires, La Grande Langue. Mille excuses encore à Martin de lui avoir fait subir l'horreur de recevoir deux poissons morts en plein visage...


Pénombre bleutée

Au centre de la grande salle, qui regorgeait de pénombre d’un bleu glacé, gisaient deux matelas empilés. Dessus s’y tordait une mince couverture. L’ensemble se tenait là, tout au milieu, camouflant une partie des lattes de bois, face aux baies vitrées. Cette ouverture crachait l’opacité de la nuit à la figure de la jeune fille recroquevillée dans un coin de la pièce muette.

Tout autour de cette île de ressorts brisés et de tissu froid étaient disposés quelques dizaines de bocaux remplis d’eau, sans couvercle. Dans chacun d’eux flottaient un poisson mort et ses excréments. L’éclairage couleur de poudre rendait visible la danse des particules de l’H2O et faisait étinceler les pierres multicolores recouvrant le sol des aquariums improvisés. Les mauves, les bleus et les roses vaporeux des bêtas brillaient aussi dans la nuit.

La jeune fille se leva. Elle était nue. Ses petits seins se balançaient au rythme de ses pas lents. Elle se fraya un chemin entre les habitacles, se pencha, en saisit un au hasard puis le pointa vers la lueur de la lune. Le front plissé et les yeux rétrécis, elle scruta l’être sans vie quelques instants, huma l’eau et replaça le contenant sur le plancher.

Rendue au pied du lit, la fille inspira, leva les bras en croix, puis se laissa tomber. Des millions de cristaux de poussière s’envolèrent de part et d’autre au moment où les vieux matelas reçurent son corps.

L’occupante du repère bleuté s’étendit sur son flanc gauche, à même les bosses des coussins rectangulaires. Elle ne clignait des yeux que lorsque le jet lumineux de la lune vibrait trop dans ses orbites. Autrement, elle les gardait grand ouverts, et fixait le noir qui talonnait les portes de verre. Comme s’il voulait entrer, et que de son regard elle devait l’en empêcher.

L’unique drap la recouvrait, dissimulant sa poitrine, son ventre, son sexe et ses fesses. Ses cuisses frêles se révélaient à la nuit sombre, ainsi que ses épaules, sa nuque et son visage. Des mèches de cheveux lisses et châtains lui chatouillaient le bout du nez. Sa peau avait une teinte argentée sous le faisceau de la lune, et ses courbes de jeune adulte paraissaient telles des dunes balayées par le vent.

Elle agrippa d’une main la couverture, la rabattit contre ses paupières et retint son souffle. Dans la pièce, plus aucun son, plus aucun mouvement. Seul le balancement des cadavres d’écailles dans l’eau.

Il n’y avait plus que du noir dans ses yeux maintenant que le morceau de linge était collé contre ses joues. L’air crispant qui planait autour imbiba ses membres. Des frissons roulèrent jusque dans ses os.

Elle remonta le matériel rugueux sur son corps et le passa autour de son cou. Le son du bruissement emplit toute la pièce et se percuta contre les murs. Ses yeux retrouvèrent le dehors nocturne. Les parois semblaient s’être penchées sur elle, la retenant coincée sur le lit mou. Elle se tourna sur le dos et ne vit que le néant en guise de plafond.

La jeune fille n’avait plus froid. Sans trembler, elle fit un noeud dans le drap.

Et tira.

(Février 2006)

jeudi 14 juin 2007






J'ai aucun instinct de survie. Cette constatation s'est introduite en moi alors que je marchais sur St-Joseph la nuit dernière. Si on m'attaquait, je prendrais l'opportunité qui me serait offerte d'en finir là et je me laisserais crever. Je ne serais pas une victime parfaite. Personne ne pourrait prendre son pied en tentant de m'effrayer.

Il y a quelque chose de moins lourd dans la perspective de mourir sans avoir à choisir ou attendre le moment, mais de simplement disparaître grâce à autrui, sous les impulsions d'un autre. Quelque chose de soulageant. Enfin, selon moi.

Je suis épuisée. Et pourtant, je ne m'impose pas de rythme débile. J'ai connu des vitesses plus folles, et pourtant je n'arrive plus à suivre. C'est juste que j'aimerais ne rien rater. Alors je travaille. Et je vais partout. Mais qui se tient vraiment derrière mes sourires et les livres? Derrière mes regards et les verres de bière?

Je ne crois plus être belle. J'ai réalisé que finir par se plaire à soi-même après dix-huit années d'existence ne transforme pas la beauté en une chose acquise. L'acceptation n'est pas gagnée à jamais. Ça n'existe pas, les «à jamais». Et puis mes cheveux m'exaspèrent.

Une distance accapare mes pensées, encore plus que toutes les autres. Dans mes rêves des baisers sont en scène. Ils sont mon unique source de douceur, ces jours-ci. Ailleurs il y a du banal réconfortant, des rires distrayants.





dimanche 10 juin 2007

Tantôt, je suis allée faire des courses avec des chaussures dépareillées. Je m'en suis rendue compte après avoir marché un coin de rue. Je me suis arrêtée, ai fait semblant de fouiller dans mon sac, ai réfléchi, puis me suis dit «De la marde!» et j'ai poursuivi mon chemin. Je me suis trouvée très drôle... Personne d'autre n'a semblé remarquer le résultat de ma distraction. Moi, cet égarement, il m'a fait sourire... Je devais vous en faire part!

jeudi 7 juin 2007

Ceux qui en ont déjà entendu parler (vous devez être nombreux, j'ai tellement chialé contre lui...) riront peut-être en lisant ce texte qui rend «hommage» à Léopold Livingston, l'oiseau que ma soeur et moi avons sauvé de l'abandon et d'une mort certaine en août 2005. Ce perroquet déplumé s'est avéré être une bête féroce et détestable! Maintenant que lui et moi ne cohabitons plus, nous semblons mieux nous entendre, si je me fie à dimanche dernier et aux heures que nous avons passées à nous bidonner. N'empêche, cher poulet-pas-cuit, il y a eu de ces instants où je t'aurais fait mal, mais MAL...


Que de plumes…


Cet après-midi, je suis seule avec mon oiseau, cette bête au porte-voix en trop. Personne d’autre n’y est pour le divertir ou pour lui dire de se taire. Car il faut préciser que ce minuscule perroquet Quacker, soit le plus petit qui existe en ce qui concerne cette catégorie de volatiles, est capable de pousser des signaux sonores qui représentent l’incarnation pure de l’hystérie. Je peux ainsi affirmer que Léopold Livingston – il s’agit bel et bien de son nom – est en mesure de produire des bruits capables de faire naître une folie intense chez ceux qui l’entourent, de la faire bouillonner au plus profond de leurs tripes et de la propager dans chacune de leurs veines.

Voulant profiter des rayons de soleil de fin d’hiver qui s’étirent et s’enfoncent à travers les rideaux de la fenêtre donnant dans la salle à dîner, je pense à m’installer à la grande table pour lire. Je suis consciente que la bestiole à plumes d’un vert criard siège sur la petite poutre en bois logée dans sa cage qui trône dans un coin de ladite pièce. Je décide tout de même de le défier, cet oiseau hurleur, en envahissant l’espace qui lui est réservé et de pousser l’audace jusqu’à me placer devant lui.

Je me dirige donc, menton perché et épaules droites, vers le lieu ciblé. Dès mon entrée dans l’espace ensoleillé, j’ai droit à quelques notes stridentes typiques d’un accueil à la Quacker égocentrique. Je lui envoie un gros «Bonjour, bonjour!», question de faire preuve d’un brin de front. Afin qu’il saisisse bien la raillerie, je lui lance une grimace immature, postillons en prime, tout en m’approchant de sa cage. Mon rival réplique aussitôt par des coups de bec rapides et secs, mais les barreaux de son habitacle ne lui permettent pas de m’atteindre. Gros Bec Impuissant doit donc se résigner à mordre de l’air et du fer.

Satisfaite de cette entrée en matière, je m’assieds sur une des chaises qui font face à Livingston tandis qu’il se démène dans un va-et-vient frénétique, se promenant de droite à gauche sur son maigre poteau tout en se dédiant à des exhortations discordantes. J’appuie mes coudes sur la surface de la table et lui adresse un de mes «Hey, hey, hey!» les plus menaçants. La créature arrête son mouvement, réplique de sa voix nasillarde, qui se veut la copie conforme de mon intonation, un «Hey». Il se tourne vers moi et m’observe de ses petits yeux noirs qui clignent de temps à autre. Mon ennemi se met à battre des ailes à répétition, comme s’il cherchait à s’envoler. Et il gueule. Fort.

Je ferme les yeux, ne voulant pas être témoin d’un tel délire. Ce spectacle, je ne l’ai vu que trop souvent. Je me dis que cet oiseau a pour mission de me dérober la raison. Il n’est pas question que je le laisse faire. Je me lève et lui décerne un second avertissement, un «Hey là!» qui se veut ferme. Sans crier. Parce qu’il ne faut pas crier après les perroquets. Eux seuls ont le droit de faire vibrer les murs, à ce qu’il paraît.

Il n’arrête pas. N’en pouvant plus, je m’approche de cet être démoniaque aux joues grisâtres. De sa gorge sortent des accords faux de plus en plus dérangeants. Mes yeux doivent jeter des ondes de fureur, je le vois qui se met à trembler.

Sans hésiter, j’ouvre la barrière de sa résidence. Livingston se met en mode défensif, décochant à mes doigts de nombreux crochets de son bec. Je ne recule pas, même si la douleur me pince jusqu’aux coudes. Je vois apparaître sur mes mains de minces filets de sang qui dégoulinent.

De chaudes larmes de rage me brûlent les yeux et m’embrouillent la vue. Mais il ne m’aura pas. Pas cette fois. Je réussis à saisir l’animal. Je ne veux pas qu’il se sauve, je ne veux pas qu’il m’échappe. Je me jure à moi-même qu’il ne s’en sortira pas vivant, qu’il payera pour toutes les fois où il a troublé mon besoin de paix et de silence.

De ma main droite, je tire sur ses plumes une à une, tandis que de ma main gauche je lui coince les os et la peau. Il hurle alors comme il ne l’a jamais fait. Un cri libérateur réchauffe mon intérieur et gronde jusqu’à s’expulser de ma bouche.

Ses plaintes s’espacent de plus en plus. Il n’y a plus de plumes sur son corps, elles sont toutes dispersées autour de nous, sur le plancher, dans sa cage, sur mes vêtements. Tout plein de plumes vertes, quelques-unes bleues et d’autres grises, toutes tachetées de sang, qui collent à ma peau, à mon visage.

Je me tais. La pauvre bête tente, à l’aide de ses deux petites pattes qui gigotent, de se libérer de mon emprise. Épuisée, elle laisse échapper un dernier couinement faible.

Je fixe Livingston tandis qu’il agonise. Un courant de remords m’assaille, mon estomac bascule. Je vomis alors que je le tiens toujours entre mes doigts. Une fois la secousse passée, je m’aperçois que je ne l’ai toujours pas achevé, et qu’il souffre encore.

Je décide d’en finir. Je saisis sa petite tête tranquillement. Il n’a même plus la force d’ouvrir le bec pour tenter de m’érafler la peau au passage.

Je serre, puis je tords.

Voilà. Il ne pourra plus crier maintenant.

(Avril 2006)

mercredi 6 juin 2007

Aujourd'hui, je me dois de quoter Phoebe, cette femme si blonde et si flaky que j'adore: «What is up with the universe?»:

Il pleut même quand le soleil se pointe. Il fait froid, mais FROID, en juin. Il n'y a plus de lumière dans ma salle de bains, je dois prendre ma douche à la chandelle, ou presque. Ça fait ancien et peu banal, du savon dans la pénombre. Les gens s'accrochent ou s'ignorent. On se fait donc chier, les trois quarts du temps. Mes amis voyagent et je fais du surplace. Mais je gagne dans l'immobilité. Est-ce à dire que je devrais rester chez moi? Tout le temps, toujours, à jamais? Mon compte est enfin dégelé. Jusqu'à ma prochaine paye. J'ai finalement reçu les chèques que j'avais commandés. 400 en 20 enveloppes. Je n'ai plus peur d'en manquer. Nous travaillons sur un show qui n'a pas d'artiste encore. Mon aspirateur à main est plus puissant que mon ancien énorme qui ne se traîne pas dans une main.

Que se passe-t-il dans ce monde?

mardi 5 juin 2007

Tadadam! Un texte de novembre 2005, paru dans le recueil Graines d'écrivains, petit livre auquel ont participé les étudiants ayant suivi des cours de création littéraire durant les sessions d'automne 2005 et d'hiver 2006.


C’est ce qui arrivera

Tu me verras comme ça, affalée sur le plancher. Tu me tendras la main, n’est-ce pas que tu le feras? Et je t’aurai bientôt dit que je ne mérite pas le bien, que je n’ai besoin de rien. Je t’avouerai qu’à partir de là, je me joins aux épaves, aux rognures, aux débris, aux ordures de cette planète. L’iris noyé, je te pointerai du doigt. Toi aussi, tu crèveras de ta main l’air entre nous deux. Tu jureras contre le tas de poutres et de planches brisées qui nous sépare.

Pour que tu ne vois pas que je tremble, je collerai contre mon épaule mon menton et mes lèvres bleuis par le ciment trop près. Je ferai de mon mieux pour m’aplatir contre le parterre glacé afin que tu n’aperçoives pas les bandes fluides et rouges qui s’échappent de mon ventre. Je poserai mon pied contre le couteau qu’il a laissé, le couteau qu’il a laissé avant de tout saccager. Tu me demanderas si ça va, sitôt tu maudiras cette parole mal placée, inutile, innocente, les yeux clos. Puis ils courront le long des parois, reviendront à moi. Ta cervelle se questionnera sur le moyen le plus efficace de te rendre à mon corps. Furieux, tu déchireras tous ces bouts de bois, tu les feras fondre, même si le bois ne fond pas.

Parvenu à ma cave gelée, tu t’approcheras, c’est sûr que tu le feras, et tu effleureras mes cheveux, ces cheveux qu’il a tirés sauvagement il y a des milliers d’instants. Tu me souffleras à l’oreille que tout ira mieux, cette oreille dans laquelle il a hurlé plus tôt que j’aimerais ça. Sans faire exprès, tu te saliras de ce fleuve cramoisi qui coule près de moi, et tu verras ma ceinture arrachée, mes jeans défaits. Les sourcils durs, la bouche enflée, je te supplierai de ne pas regarder. Puis je fermerai les yeux, j’arrêterai de respirer, je sais que c’est ce qui arrivera.

lundi 4 juin 2007

Voici un autre texte écrit en octobre 2005. Lui non plus, je ne me souviens pas du titre, c'est Voiture de patrouille ou Auto de police, à vous de choisir :P


Il ouvrit une paupière et ne vit qu’une noirceur orangée. Il retira le drap de son visage. Le fit descendre jusqu’à sa taille. Il avait encore laissé la lumière allumée. Il se frotta les yeux et fixa durant un long moment le plafond d’un blanc sale. Son heure sonna enfin. Il balança ses deux jambes molles hors du matelas et se retira des couvertures crasseuses à la manière d’un vieillard.

Il appuya sur le réveille-matin. Le bruit strident se tut. Il déposa l’appareil dans le tiroir demeuré ouvert de la table de nuit puis s’empara de l’unique objet qui occupait le meuble: une minuscule voiture de police. Il referma le compartiment et serra le jouet dans sa main droite. De l’autre, il gratta ses côtes apparentes.

En se déplaçant vers la salle de bains, il se cogna le petit orteil contre un coin de la bibliothèque. Un ou deux livres tombèrent sur le sol et rejoignirent les dizaines de manuels déjà tordus sur le plancher. Il déposa la voiturette près du lavabo et fit pression sur ses roues. Les phares du véhicule s’activèrent. Une faible sirène devint audible. Un sourire glissa sur son visage tandis qu’il urinait. Il prit une douche rapide et enfila un peignoir usé. Il fit rouler la petite auto vers la cuisine. Il s’y dirigea ensuite.

Il se brûla avec l’eau chaude qu’il tentait de convertir en café à l’aide d’un mélange instantané. Il pivota vers le téléphone et, de son doigt hésitant, exécuta une commande. Le répondeur se mit en marche et une voix de femme broya le silence de la pièce:

«Olivier, c’est ta mère, encore. Vas-tu finir par répondre? Écoute, je le sais que t’es là. Parle-moi, Olivier...»

Il reconnut le ton plaintif. Il grimaça.

«... C’est pas saint de s’enfermer comme ça pendant des jours. T’es pas le seul homme de vingt-neuf ans à avoir perdu sa job! À cet âge-là, y’en a qui ont même pas encore trouvé, t’sais.»

Le reproche, maintenant. Il faillit stopper l’enregistrement, puis se ravisa.

«... Tes “chums” arrêtent pas d’appeler ici pour savoir comment tu vas. Y disent que t’as disparu après l’enquête. Olivier? (...) Bon, ce s’ra pas pour aujourd’hui, comme ça....»

Le déclic annonça la fin du message vieux de quelques semaines déjà. Il fit tournoyer la voiture de patrouille entre ses doigts. Puis il supprima le contenu de la machine enregistreuse.

samedi 2 juin 2007

L'été dernier, j'étais seule. Seule dans le sens de célibataire depuis peu. Seule dans le sens d'amis pas toujours disponibles malgré leur amitié et leur bonne volonté, dans le sens d'une soeur coloc avec une job qui la rendait absente quand moi j'étais là. Seule dans le sens de mon incapacité à crier comme il faut à quel point je souffrais d'érosion. Seule comme je n'avais jamais été, comme j'espère ne plus l'être.

Je me suis reconnue à travers la petite dame rondelette et un brin pathétique d'une des histoires du savoureux Paris, je t'aime. Surtout lorsqu'elle apparaissait seule dans un parc en train de manger un sandwich sur un banc et qu'elle observait les environs, et que des larmes ont embué ses yeux. Ma gorge se serre rien que d'y penser. Je me suis revue durant ces jours de l'été passé, et je suis replongée d'un coup dans la même torpeur, la même solitude, la même honte, la même pitié et la même haine que j'entretenais face à moi-même. Chaque fois que je vois une de ces femmes dans la quarantaine au physique relâché, je fais le voeu de ne pas finir comme ça. Je crains que cela m'arrive et j'ai si peur d'avoir à nouveau pitié de moi un jour. Car selon moi, que quelqu'un nous fasse pitié, c'est grave. Mais se faire pitié à soi-même, c'est insoutenable. J'ignore si mon souhait est ingrat, il l'est sans doute un peu. Puis je me rappelle que les filles magnifiques qui sont seules et qui pataugent dans leur désespoir ne sont pas plus enviables.

Cette saison-là m'a donné une grande leçon d'humilité. Pour la première fois de ma vie, j'ai assisté seule à des concerts. J'ai toujours admiré ceux qui osaient se rendre non-accompagné à des spectacles. Protégée et entourée de mes amis à moi, je les observais et les jugeais forts, indépendants, sûrs d'eux et très indifférents face au regard que d'autres pouvaient leur porter. J'étais aussi un peu triste pour eux, sachant que certains d'entre eux n'avaient tout simplement personne avec qui y aller. Je suis alors devenue un de ces individus. Au début, c'était une torture pour moi. Une façon de me punir, parce qu'après tout si je m'étais ramassée seule, c'était que je le méritais (oui oui, c'était ce que je me disais, et j'y croyais). Malgré tout, je m'y suis habituée, m'y suis faite et maintenant, je me moque d'aller voir un show seule. Bien sûr, c'est plus agréable en gang...

La solitude est un de mes nombreux paradoxes. Elle me berce et me mord tout autant. Ces jours-ci, j'ai le privilège de choisir mes moments et de les remplir de présences ou non. L'ennui me gagne encore parfois, certes, l'ennui de certaines personnes, surtout. J'assume de plus en plus ma mélancolie pathologique, mais je crois que je mettrai toute ma vie à tenter de la répartir de manière appropriée à travers mes jours et mes nuits.

Je continue de penser à toi, petite dame rondelette...