Un par-dessus et trois bouteilles de rouge. Voilà ce qui traînait sur la minuscule table de bois défraîchi lorsque les hommes pénétrèrent dans la pièce.
Un par-dessus gris cendre et des bouteilles de vin rouge douteux. Les trois étaient ouvertes, une était couchée sur la surface inégale de la table et son contenu s'était déversé sur les carreaux beige du plancher sale. Les bouchons de liège demeuraient introuvables.
Les deux hommes réprimèrent un haut-le-coeur. Une odeur infecte imprégnait l'endroit. Le corps gisait sur le sol, un peu à droite de la petite table, sous une fenêtre trois fois plus haute que large. La lumière du dehors, aveuglante, en transperçait la vitre et se jetait sur le dos du malheureux qui trempait dans son sang.
Un des inspecteurs, le plus petit, contourna le cadavre pour s'approcher du réfrigérateur qui grondait dans un coin de la pièce. Il l'ouvrit en prenant bien soin de ne pas accrocher les pieds du mort avec le bas de la porte. Le frigo était vide. L'inspecteur de petite taille, dont le visage était garni de davantage de poils que sa tête ne l'était de cheveux, toussota en lançant un regard à son collègue. Ce dernier haussa les sourcils et avança vers la masse immobile.
On ne pouvait voir que la moitié du visage du décédé. Il portait un gilet blanc et des pantalons noirs maintenant tout à fait imbibés. Le vin s'étant échappé de la bouteille laissée à l'horizontal sur la table se mélangeait au sang de l'homme, formant un étang épais et créant une nouvelle teinte de rouge. Si ce n'était de tout ce liquide cramoisi et de ces organes intérieurs déchiquetés fuyant vers l'extérieur du corps, on aurait pu dire qu'il s'agissait d'une mort paisible. Les inspecteurs pouvaient effectivement apercevoir un sourire sur les lèvres de l'homme. Ses longs cheveux bruns en bataille cachaient la partie visible de son front ainsi que son oeil.
- T'as vu quelque chose qui pourrait ressembler à l'arme du crime, toi? demanda le petit.
- Non.
- Le malade qui a fait ça l'a quand même pas ouvert avec une bouteille de vin!
Son partenaire se dirigea vers la table, fouilla dans sa poche d'imperméable et en ressortit une paire de gants. Il les enfila et tâta le par-dessus, le souleva. Rien n'était dissimulé dessous. Il prit les deux bouteilles de vin toujours debout et constata qu'elles étaient pleines. Il en fit la remarque au petit inspecteur.
- Merde, grommela ce dernier. Tu crois que c'est un règlement de comptes? La mafia, peut-être?
- Possible.
Les deux inspecteurs se déplacèrent vers la porte. Ils observèrent la scène un moment. Le petit se gratta la tempe gauche.
- Un par-dessus et trois bouteilles de rouge? Ça peut pas être autre chose qu'une blague!
- As-tu faim? Je mangerais un morceau, moi.
- Bonne idée, allons manger. J'appellerai les gars du labo tantôt.
Le petit précéda son collègue dans le couloir. Dans la cage d'escaliers résonnait l'écho de la voix du premier qui relatait à l'autre le succulent repas que lui avait concocté sa femme la veille, et qui insistait sur combien il rafole de foie.
J'aime bien le rouge...
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