Le jeudi 14 avril dernier, j'ai travaillé mes trois dernières heures à la librairie Vaugeois. J'ai décidé de me concentrer sur les animaux. Faire les deux était déjà fatigant, et étant donné que l'été est la saison la plus achalandée au Salon Canin (comme dans la plupart des salons de toilettage, en fait), j'ai choisi de garder mes énergies pour cette nouvelle occupation. Il s'agit de mon premier départ «volontaire» de la librairie, mes autres pauses ayant été causées par la maladie. Ça fait bizarre...
C'est mon ami Pierre-Luc qui m'a d'abord proposé de le remplacer comme libraire le temps de son trip dans l'Ouest canadien et américain. Je me suis dit «Pourquoi pas?», j'ai rencontré Marie-Hélène Vaugeois, la co-propriétaire, et après ce qui demeure l'entrevue la moins formelle de toute ma vie, j'ai été engagée.
J'y ai débuté en mai 2007. Je suis arrivée en même temps que la technologie, c'est-à-dire le système qui traite tout dans la librairie, de l'inventaire à la caisse. En même temps que le livre Le Secret de Rhonda Byrne, aussi. Environ un mois avant que je m'inscrive sur Facebook. La session hiver-printemps à l'université venait de se terminer. J'avais un bagage plutôt classique, j'étais à la fin de mon baccalauréat en littérature (que je n'ai toujours pas complété) et je n'étais absolument pas à l'affût des nouveautés, des auteurs préférés, des genres de prédilection... La littérature québécoise contemporaine, la bande dessinée et tout ce qui se faisait en jeunesse m'était tout à fait inconnus, de même que la science-fiction, le fantasy et ce qui se trouve sous l'étiquette «essai»... Bref, l'univers et le fonctionnement d'une librairie m'étaient étrangers. J'avais toujours été une fidèle usagère des bibliothèques. J'irais même jusqu'à dire qu'avant de débarquer chez Vaugeois, je ne saisissais pas vraiment l'utilité ni le besoin ou l'envie de posséder un livre, une histoire qu'on ne lirait probablement qu'une seule fois. Je partais de loin. Mais j'étais très ouverte et je tenais à vivre cette expérience.
Mon ami était là les premiers jours et je crois que ça a beaucoup facilité mon insertion dans le domaine et dans cet environnement en particulier. J'ai vite apprécié - et participé, il me semble? - à la douce ambiance folle qui régnait dans la place. On m'a présenté mes collègues, le personnel des boutiques d'à côté, (feu) le Paillasson et la Papetruc, l'équipe des éditions du Septentrion, dont les bureaux étaient à l'époque situés à l'étage et avec lesquels j'allais partager mes dîners. Je me suis tout de suite bien entendu avec tout le monde. Certains sont même devenus des amis avec le temps. Avec eux, j'ai vite découvert qu'on pouvait travailler et s'éclater en même temps. Vraiment s'amuser. Ça ne m'était jamais arrivé avant.
Je me suis aussi vite dit qu'il y avait des chances que je puisse faire ce métier toute ma vie. Que je pourrais en avoir envie. Je ne me disais pas que je le ferais, juste que c'était possible. Cette pensée-là me réjouissait. Enfin quelque chose que j'aimais faire, qui me permettait de survivre financièrement et qui ne m'était pas lourd. Je ne savais pas ce que je voulais faire. Mais ça, travailler dans une librairie, ça me tentait, et je pouvais le faire.
Je n'ai jamais été très bonne vendeuse. Je réussissais davantage à démontrer mon enthousiasme pour un ouvrage à l'écrit plutôt qu'à l'oral. Si on me demandait quelque chose de bon à lire, mon esprit se vidait plus souvent qu'autrement. J'avais un blanc. Je ne savais plus ce que j'avais aimé. J'ai eu beau observer Marie-Hélène et les autres suggérer des livres, raconter et expliquer en quoi ça leur a plu, j'ai toujours senti que je ne réussissais pas tant à transmettre la bonne vibe du livre. Même en tentant de résumer l'action, je m'enfargeais dans mes mots. J'étais meilleure à d'autres tâches, je pense. J'aimais traiter les commandes, faire des vitrines, voir les nouveautés arriver... Et non, je ne trippe pas particulièrement sur l'odeur des livres, moi.
Je ne sais pas si je suis devenue une vraie de vraie libraire. Pendant 6 ans, j'ai adoré ça. Puis, en 2013, ma passion s'est un peu effritée. Plusieurs aspects de la job se sont mis à me peser, pour plusieurs raisons. Je suis tombée malade, je me suis mise à remettre en question mon avenir en librairie. J'avais perdu la vocation. Tout est devenu trop, et j'ai pris une pause qui devait à l'origine durer 6 mois. Finalement, je n'y suis retournée qu'après environ 20 mois et seulement à temps partiel. Marie-Hélène m'a rendu service en me permettant de faire quelques heures par semaine à la librairie, ce qui m'a beaucoup aidée à me refaire la main sur le marché du travail.
J'ai emmagasiné un nombre impressionnant d'anecdotes savoureuses là-bas. J'ai appris plein de choses, découvert des talents, développé des passions, partagé des expériences, j'ai ri, mais RI! J'ai rencontré un tas de gens fascinants. Des idiots, aussi (t'sais, le service à la clientèle, des fois...). Je me souviens de toute la poussière, de toutes les boîtes, des milliers de discussions entamées, de cette dame, une des premiers clients que j'ai servis et qui cherchais le livre d'Anthony Hopkins (!), du facteur beaucoup trop hot pour la vie, d'une poignée de fidèles qui venaient régulièrement faire leur tour, des livreurs sympas, des représentants et des fous rires partagés avec eux, des bijoux de lecture qu'ils nous ont annoncés ainsi que des horreurs à prévoir, des coups hilarants aussi (la palme revient, je crois, à Nathalie lorsqu'elle nous a présenté le livre de Jacques Salomé, L'effet source, à propos des femmes fontaine...), des rencontres entre les éditeurs et les libraires et aussi avec des auteurs (Patrick Senécal super funny, François Blais tellement gêné), des lancements tenus à la librairie, des nombreux problèmes techniques... Je garde en tête les nombreuses histoires de voyage et potins de toutes sortes racontés par Mme Vaugeois, de la gentillesse, disponibilité et dévouement de Huguette, de la folie, la passion et l'amitié de Marie-Hélène, des jasettes au soleil avec Marie-Claude, des moments passés en haut avec Sophie, Marie-Michèle, Gilles, Éric, Pierre-Louis et Carole, des passages de M. Vaugeois qui avait toujours un bon mot pour nous, des boîtes de retour que Gaël remplissait à la perfection. J'ai eu la chance aussi de voir un peu Hélène et Julien en action, deux bons vendeurs passionnés.
Je me rappelle aussi que mes employeures ont été les plus flexibles et ouvertes que j'ai jamais connues, et j'en suis très reconnaissante. Mère et fille Vaugeois, vous avez toujours été très compréhensives face à mes problèmes de santé et je vous en remercie. Avec vous deux, ça a toujours été facile de négocier mes vacances et mes congés (en fait, j'appelle même pas ça de la négociation, et tant mieux pour moi parce que je suis nulle là-dedans). Vous m'avez à peine ou pas du tout renoté mes retards. Vous avez laissé passer plusieurs erreurs, plusieurs crises, plusieurs épisodes de mauvaises humeurs (et/ou humeurs malades). Vous avez toujours pris de mes nouvelles. Durant ma dernière convalescence, Mme Vaugeois m'accueillait toujours avec une bise et me serrait fort lors de mes quelques visites à la librairie. Je me suis parfois sentie faire un peu partie de la famille. Merci.
Quand je suis arrivée à la librairie le jeudi 14 avril dernier, je ne réalisais pas vraiment que c'était la dernière fois que j'y travaillerais. Ce n'est qu'un peu avant 21h, juste avant de fermer les lumières et de compter la caisse, que les larmes sont montées à mes yeux. Ma gorge s'est serrée. J'ai espéré fort qu'aucun client tardif n'entrerait, même si ce n'est pas bon pour la business souhaiter des affaires de même. J'ai écrit à Marie-Hélène pour lui laisser savoir que là, j'étais émue, toute seule dans la place, dans le noir, entourée de livres et étouffée par mes souvenirs. Cette Marie-Hélène-là, je ne l'appelle plus ma boss, je l'appelle mon amie. J'ai eu du fun à travailler avec elle, elle m'a montré plein d'affaires et m'a fait (re)plonger dans les mondes de la bd et de la littérature jeunesse. On a ri ensemble, passé plusieurs soirées arrosées ensemble, chialé ensemble, on s'est confié des trucs et maintenant on joue à une soirée hebdomadaire de quiz.
Je me surprends à penser, me dire, ressentir, savoir que je ne suis plus celle que j'étais quand j'ai mis les pieds dans cette librairie la première fois. Ou alors c'est que j'ai changé? On change? Une chose est sûre : mon goût pour la lecture s'est transformé, a décuplé, et ça je le dois aux Vaugeois, à leur librairie, leurs employés et leur clients.
Mon ami était là les premiers jours et je crois que ça a beaucoup facilité mon insertion dans le domaine et dans cet environnement en particulier. J'ai vite apprécié - et participé, il me semble? - à la douce ambiance folle qui régnait dans la place. On m'a présenté mes collègues, le personnel des boutiques d'à côté, (feu) le Paillasson et la Papetruc, l'équipe des éditions du Septentrion, dont les bureaux étaient à l'époque situés à l'étage et avec lesquels j'allais partager mes dîners. Je me suis tout de suite bien entendu avec tout le monde. Certains sont même devenus des amis avec le temps. Avec eux, j'ai vite découvert qu'on pouvait travailler et s'éclater en même temps. Vraiment s'amuser. Ça ne m'était jamais arrivé avant.
Je me suis aussi vite dit qu'il y avait des chances que je puisse faire ce métier toute ma vie. Que je pourrais en avoir envie. Je ne me disais pas que je le ferais, juste que c'était possible. Cette pensée-là me réjouissait. Enfin quelque chose que j'aimais faire, qui me permettait de survivre financièrement et qui ne m'était pas lourd. Je ne savais pas ce que je voulais faire. Mais ça, travailler dans une librairie, ça me tentait, et je pouvais le faire.
Je n'ai jamais été très bonne vendeuse. Je réussissais davantage à démontrer mon enthousiasme pour un ouvrage à l'écrit plutôt qu'à l'oral. Si on me demandait quelque chose de bon à lire, mon esprit se vidait plus souvent qu'autrement. J'avais un blanc. Je ne savais plus ce que j'avais aimé. J'ai eu beau observer Marie-Hélène et les autres suggérer des livres, raconter et expliquer en quoi ça leur a plu, j'ai toujours senti que je ne réussissais pas tant à transmettre la bonne vibe du livre. Même en tentant de résumer l'action, je m'enfargeais dans mes mots. J'étais meilleure à d'autres tâches, je pense. J'aimais traiter les commandes, faire des vitrines, voir les nouveautés arriver... Et non, je ne trippe pas particulièrement sur l'odeur des livres, moi.
Je ne sais pas si je suis devenue une vraie de vraie libraire. Pendant 6 ans, j'ai adoré ça. Puis, en 2013, ma passion s'est un peu effritée. Plusieurs aspects de la job se sont mis à me peser, pour plusieurs raisons. Je suis tombée malade, je me suis mise à remettre en question mon avenir en librairie. J'avais perdu la vocation. Tout est devenu trop, et j'ai pris une pause qui devait à l'origine durer 6 mois. Finalement, je n'y suis retournée qu'après environ 20 mois et seulement à temps partiel. Marie-Hélène m'a rendu service en me permettant de faire quelques heures par semaine à la librairie, ce qui m'a beaucoup aidée à me refaire la main sur le marché du travail.
J'ai emmagasiné un nombre impressionnant d'anecdotes savoureuses là-bas. J'ai appris plein de choses, découvert des talents, développé des passions, partagé des expériences, j'ai ri, mais RI! J'ai rencontré un tas de gens fascinants. Des idiots, aussi (t'sais, le service à la clientèle, des fois...). Je me souviens de toute la poussière, de toutes les boîtes, des milliers de discussions entamées, de cette dame, une des premiers clients que j'ai servis et qui cherchais le livre d'Anthony Hopkins (!), du facteur beaucoup trop hot pour la vie, d'une poignée de fidèles qui venaient régulièrement faire leur tour, des livreurs sympas, des représentants et des fous rires partagés avec eux, des bijoux de lecture qu'ils nous ont annoncés ainsi que des horreurs à prévoir, des coups hilarants aussi (la palme revient, je crois, à Nathalie lorsqu'elle nous a présenté le livre de Jacques Salomé, L'effet source, à propos des femmes fontaine...), des rencontres entre les éditeurs et les libraires et aussi avec des auteurs (Patrick Senécal super funny, François Blais tellement gêné), des lancements tenus à la librairie, des nombreux problèmes techniques... Je garde en tête les nombreuses histoires de voyage et potins de toutes sortes racontés par Mme Vaugeois, de la gentillesse, disponibilité et dévouement de Huguette, de la folie, la passion et l'amitié de Marie-Hélène, des jasettes au soleil avec Marie-Claude, des moments passés en haut avec Sophie, Marie-Michèle, Gilles, Éric, Pierre-Louis et Carole, des passages de M. Vaugeois qui avait toujours un bon mot pour nous, des boîtes de retour que Gaël remplissait à la perfection. J'ai eu la chance aussi de voir un peu Hélène et Julien en action, deux bons vendeurs passionnés.
Je me rappelle aussi que mes employeures ont été les plus flexibles et ouvertes que j'ai jamais connues, et j'en suis très reconnaissante. Mère et fille Vaugeois, vous avez toujours été très compréhensives face à mes problèmes de santé et je vous en remercie. Avec vous deux, ça a toujours été facile de négocier mes vacances et mes congés (en fait, j'appelle même pas ça de la négociation, et tant mieux pour moi parce que je suis nulle là-dedans). Vous m'avez à peine ou pas du tout renoté mes retards. Vous avez laissé passer plusieurs erreurs, plusieurs crises, plusieurs épisodes de mauvaises humeurs (et/ou humeurs malades). Vous avez toujours pris de mes nouvelles. Durant ma dernière convalescence, Mme Vaugeois m'accueillait toujours avec une bise et me serrait fort lors de mes quelques visites à la librairie. Je me suis parfois sentie faire un peu partie de la famille. Merci.
Quand je suis arrivée à la librairie le jeudi 14 avril dernier, je ne réalisais pas vraiment que c'était la dernière fois que j'y travaillerais. Ce n'est qu'un peu avant 21h, juste avant de fermer les lumières et de compter la caisse, que les larmes sont montées à mes yeux. Ma gorge s'est serrée. J'ai espéré fort qu'aucun client tardif n'entrerait, même si ce n'est pas bon pour la business souhaiter des affaires de même. J'ai écrit à Marie-Hélène pour lui laisser savoir que là, j'étais émue, toute seule dans la place, dans le noir, entourée de livres et étouffée par mes souvenirs. Cette Marie-Hélène-là, je ne l'appelle plus ma boss, je l'appelle mon amie. J'ai eu du fun à travailler avec elle, elle m'a montré plein d'affaires et m'a fait (re)plonger dans les mondes de la bd et de la littérature jeunesse. On a ri ensemble, passé plusieurs soirées arrosées ensemble, chialé ensemble, on s'est confié des trucs et maintenant on joue à une soirée hebdomadaire de quiz.
Je me surprends à penser, me dire, ressentir, savoir que je ne suis plus celle que j'étais quand j'ai mis les pieds dans cette librairie la première fois. Ou alors c'est que j'ai changé? On change? Une chose est sûre : mon goût pour la lecture s'est transformé, a décuplé, et ça je le dois aux Vaugeois, à leur librairie, leurs employés et leur clients.
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