Gribouillis
En début d’après-midi, Simon s’installa sur une des énormes chaises de la table de cuisine et étala tout son attirail : des crayons, du papier, des ciseaux. Puis il gribouilla, sans s’arrêter. Ses yeux se plissaient sous l’effort et la concentration. Il était si absorbé par son coloriage qu’il ne percevait aucun bruit dans la maison.
Simon appliqua beaucoup de rouge. Il découpa de petits carreaux de papier blanc et les tassa plus loin sur la surface noueuse de la table. Ensuite, il saisit le crayon bleu et répéta les mouvements qu’il avait exécutés avec le rouge. Plus il garnissait la feuille, plus il souriait. Mais toujours, il gardait ses yeux à demi-fermés et scrutait la progression de son dessin.
Sa mère entra dans la pièce. Simon se tourna vers elle et la regarda. Elle avait les paupières gonflées, le menton bas et les épaules arrondies. Elle se tenait les mains, les tortillait. Elle les gardait près de son ventre, tirait un peu sur son chandail. Elle s’avança vers son fils, s’arrêta dans la lumière que laissait entrer la grande fenêtre à sa droite. Les lèvres du petit se pincèrent, puis il lui dit :
- J’ai été gentil.
- Simon, va en bas, mon chéri.
- Je n’ai pas fait de bruit. J’ai fait un dessin. Tu veux voir?
- Simon, en bas, s’il te plaît. Avant que Papa… Papa n’est pas content…
Le garçon ramassa ses effets, descendit de sa chaise puis leva le visage vers sa mère. Les yeux arrondis, pleins de larmes, il murmura :
- Mais, j’ai été gentil…
- Je sais, mon chéri…
La femme lui caressa l’épaule. De son autre main, elle froissait toujours son gilet. Des pas résonnèrent dans les escaliers tout près de la cuisine. Simon se tassa vers la gauche pour voir son père descendre les marches en titubant. Il entendit aussi sa respiration, lente et forcée, comme s’il était à bout de souffle. L’homme se plaça derrière sa mère. Il posa les mains sur ses hanches et renifla avec bruit.
- Fiston.
Simon avala sa salive avec peine, baissa les yeux, serra son dessin et son étui à crayons contre lui puis se rendit au sous-sol.
Simon devait avoir mis deux ou trois heures à parfaire son dessin. Son père n’avait pris que sept secondes pour le déchirer. Maintenant que le petit garçon en avait ramassé tous les morceaux et les avait disposés par terre, sur les lattes défraîchies qui servaient de plancher au sous-sol, le tout ressemblait à un navire en pleine tempête. Le papier semblait en lambeaux, comme si la pâte provenant de l’arbre était à peine mûre pour son utilité future.
Il s’assit devant les débris et regarda autour de lui, dévisagea les murs qui l’entouraient. Son père était remonté. Simon essuya ses larmes du revers de sa manche. Il porta son attention sur l’armoire située en face de lui, et fixa les bibelots disposés sur les étagères de verre. Il fourra une main dans sa poche de pantalon et sortit les carrés qu’il avait découpés plus tôt. Il éleva son bras au-dessus de son chef-d’œuvre déchiqueté puis laissa s’échapper les bouts de papier. Certains rejoignirent les restes du dessin, d’autres se coincèrent entre les planches de bois.
Simon se leva et se dirigea vers le fond de la pièce où se trouvaient les animaux en pierre. Il se rappela les avoir admirés chaque fois que lui et ses parents rendaient visite à sa grand-mère, aujourd’hui décédée. Son père lui avait souvent répété de ne pas courir devant l’étalage parce qu’il risquait de tout casser. Il ouvrit une des portes vitrées et s’empara d’un mouton. Il l’inspecta, le fit tournoyer et figea ses yeux dans les fausses orbites de l’objet. Il le serra fort entre ses mains, se tourna et lança le mouton de toutes ses forces. Ce dernier se fracassa contre le mur en face. Un bout de patte atterrit sur les fragments de dessin. Simon croisa les bras sur sa poitrine et pinça ses lèvres.
Son front se plissa tandis qu’il observait les dégâts. Il se retourna et empoigna de sa main droite une vache sculptée dans le roc. Simon la jeta contre le mur. Il réserva le même sort aux autres bêtes inanimées de la collection.
Son saccage achevé, il referma le meuble. Il avança à pas lents vers le centre de la pièce, où son dessin gisait toujours, entouré de membres des sculptures assassinées. Sans perdre des yeux l’espèce de champ de bataille qui s’étendait devant lui, il s’agenouilla puis s’allongea sur un coin du plancher non encombré. Il se recroquevilla et coinça ses jambes entre ses bras.
Puis il s’endormit.
Je sais que ça n'a aucune rapport avec ton texte, mais je suis en train d'écouter de vieux souvenirs et de lire les réflexions d'une amie imaginaire sur la mort et je ne peux m'empêcher d'angoisser face à ce qui nous menace à chaque pas que nous faisons. Fin de l'angoisse.
RépondreSupprimerAu revoir, amie-oreille.