C’est donc ça, respirer…
Mes pas s'ordonnent les uns après les autres, tracent un chemin, décident de la distance à parcourir. Je les laisse me guider, et ne marche que pour marcher. Pour penser.
Puis j’entends mon nom au milieu de mes idées. Quelqu’un m’appelle, se heurte à mes songes. Je ralentis la cadence. On me hèle encore une fois. Une voix familière.
Je me retourne et te vois. Enfin. Tu es là à te diriger vers moi. Cela faisait… trop longtemps, que nous nous étions vus. Je reconnais tes cheveux foncés. Tu les as laissés pousser depuis.
Sans me déplacer, je t’observe avancer au pas de course, comme au ralenti, les poings serrés et relevés à la hauteur de tes coudes. Je fixe tes grandes mains nues et devine qu’elles sont chaudes, malgré l’air crispant de janvier qui s’amuse à égratigner les bouts de peau dégagée des passants.
Des frissons me percent les veines. Je relève la fermeture éclair de mon manteau dodu, resserre mon foulard et remonte mes mitaines sur mes poignets. Question de m’occuper tandis que je te guette. Mes pieds piétinent le seul coin d’asphalte qui ne se cache pas sous une couche de glace ou un filet de neige. J’entends en sourdine le moteur des voitures qui s’arrêtent et s’alignent à l’intersection à ma droite.
Mes oreilles bourdonnent et mes tempes se font lourdes alors que tu t’arrêtes devant moi. Je distingue enfin tes doux yeux sombres. Les miens pétillent, sans doute.
Tes bras s’ouvrent et je m’y jette. Mes mains s’accrochent derrière ta nuque. Tu murmures quelques mots que je ne saisis pas, ta voix s’étant évanouie quelque part entre trois ou quatre mèches de mon épaisse chevelure bouclée. J’échappe un petit gémissement, comme si j’avais compris, comme si j’acquiesçais.
Je ferme les yeux. Tu me soulèves de terre, mon poids t’est tout entier. Mes longues jambes pendent près des tiennes toujours ancrées au sol. Je tends la pointe de mes orteils afin de rejoindre la surface ferme, mais ne souhaite pas l’atteindre, de peur que tu me reposes par terre.
Des milliers de pincements chauds bougent en moi et des centaines de décharges s’agglutinent dans ma gorge. De par mon étreinte, je t’oblige à demeurer là. Comme ça.
J’ouvre mes yeux. Les gens à l’intérieur des véhicules tout près nous dévisagent. Mes joues s’empourprent, je te serre encore plus fort. Tu me fais valser en pivotant un tour sur toi-même, puis me déposes.
Je ne te laisse pas partir pour autant. Ta barbe de quelques jours me pique le visage. J’enfouis mon nez dans le col de ton manteau de coton léger pour voler un peu de ton odeur, afin de la mémoriser à nouveau et m’en faire une réserve, pour les autres jours où je ne te verrai pas.
J’inspire, j’expire. Je réalise que je respire mieux, comme ça dans tes bras, maintenant que je te vois. Ces nouvelles bouffées d’air me désaltèrent. J’emplis mes poumons une autre fois, soutiens l’oxygène, l’emprisonne, puis la libère. C’est donc ça, respirer…
Tu relâches ton emprise, m’écartes un peu et me demandes de rester là, pour que tu puisses «contempler», comme tu dis. Nous discutons. De quoi au juste, je ne sais trop. Mes paumes sont moites, je retire mes gants.
Tu m'annonces que tu dois partir et retourner à tes commissions. Je réplique que je dois reprendre ma marche, de toute façon. Tu m’invites à une nouvelle embrassade et j’y plonge sans hésiter. Mon front se place d’instinct dans le creux de ton épaule. Je sens ton torse près de ma poitrine, ton ventre contre le mien, tes hanches sur les miennes, même sous l’épaisseur de nos vestes d’hiver. Tes doigts se promènent dans mes cheveux, les caressent. Je veux rester là.
Nous nous séparons puis nous disons au revoir. Le souffle coupé, je renfile mes mitaines, te tourne le dos et poursuis ma promenade, légère.
Flottante.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire