mardi 17 juin 2014






On dit souvent que l'herbe est fraîche, que le gazon est doux, mais même tout juste tondue, une pelouse reste pour moi piquante.  Les brins séchés, les mauvaises herbes, ça pique, ça gratte, ça colle aux cuisses, aux mollets, à la plante des pieds.  Le parterre est inégal.  Les fourmis s'y promènent, s'invitent sur notre couverture, nos jambes, nos bras.  Il y a des petites plaques de terre à moitié humide ici et là.  Plusieurs aiguilles de conifères jonchent le sol, le rendant encore plus piquant.  Et l'ensemble n'est jamais tout à fait vert, hen.  Je veux dire, à part les terrains de golf et de baseball, avez-vous souvent vu des cours éclatantes et uniformes?  À moins d'y investir un sacré paquet d'argent ou de concourir pour le meilleur aménagement paysager (et ainsi vous assurer le jugement d'un certain nombre de vos voisins, dont moi), je ne vois pas.



«Est-ce que le skate c'est un sport?»
- Un enfant tout près de nous, Parc Saint-Rodrigue








lundi 9 juin 2014





Il y a des habitudes qui ne se perdent pas.  Ou moins rapidement.  Le lundi, encore des fois j'attends que tu m'appelles ou me textes pour me demander si tu peux venir me rejoindre après ton quiz.  Je pense encore à des films que nous pourrions regarder ensemble.  À la prochaine fois que nous irions aux crêpes.

Il y a des habitudes qu'on ne veut pas mettre de côté.  Pas tout de suite.  On y tient encore trop fort.  Nos matins.  Sur nos divans, je m'asseyais toujours à gauche et toi à droite.  La façon que tu avais de parler à mes chats.  Nos confidences.

Il y a des habitudes qui ne se perdent pas.  Ou pas assez vite.  Parce que j'espère les abollir sous peu, question de demeurer à peu près saine.  Tes pas dans l'escalier.  Nos mésententes.

Il y a des habitudes que je ne partageais qu'avec toi.  Que nous nous étions inventées, que nous avions créées.  Je fais comment maintenant, alors que ça brûle encore?

Il y a des habitudes qui ne se perdent pas.  Et moi je perds tout, toujours, tout le temps.

S'il y avait des nouvelles habitudes à instaurer, je te prendrais dans mes bras pour t'accueillir.  Presque à chaque fois.  Je sourirais plus souvent.  Je m'en ferais moins.  Je ne m'endormirais plus devant un film.  Je serais moins exigeante.  Je t'embrasserais plus souvent.  Je ne te laisserais pas prendre tout l'espace dans mon lit.  Je ne te ferais pas sentir obligé de quoi que ce soit envers moi.

S'il y avait des nouvelles habitudes, ce serait presque parfait.  Pas tout à fait, mais presque.















J'ai finalement lu (en une seule soirée!) Les heures souterraines, roman de Delphine de Vigan qui  m'a été plusieurs fois chaudement recommandé par mes collègues et même par plusieurs clients.  Si je l'ai lu aussi rapidement, avec autant d'attention et de compassion pour les deux personnages principaux, c'est que c'est effectivement très bon.  Excellent, même.  L'écriture, l'histoire de Mathilde puis celle de Thibault, tout est touchant.  

Mathilde, elle, subit depuis plusieurs mois le comportement inacceptable de son patron envers elle.  Leur relation d'affaires a changé d'un coup et depuis il lui fait subir des misères (et je dis bien des misères)!  On parle de harcèlement moral et psychologique au travail ici, un thème très peu abordé.  Elle tient fort, elle tient longtemps, mais son patron la gruge petit à petit et rend son travail et sa vie insupportables.

Je me suis beaucoup reconnue en Thibault.  D'abord parce qu'il vit une liaison avec une femme qui ne l'aime pas, ou qui à tout le moins n'arrive pas à s'ouvrir à lui.  Chaque passage le concernant me ramenait à un souvenir précis de mon histoire à moi.  Les mots sont si bien choisis que j'aurais aimé y avoir pensé moi-même.  Je vous partage quelques extraits qui sont significatifs pour moi.

«Il n'a pas cherché à lutter, même pas au début, il s'est laissé glisser.  Il se souvient de tout et tout concorde, va dans le même sens, s'il y réfléchit le comportement de Lila indique mieux que toutes les paroles son absence d'élan, sa manière d'être là sans y être, sa position de figurante, sauf peut-être une fois ou deux où il a cru, le temps d'une nuit, que quelque chose était possible, au-delà de ce besoin obscur qu'elle avait de lui.»

- Delphine de Vigan, Les heures souterraines, JC Lattès,  p. 21


«Il a suffisamment vécu pour savoir que cela ne se renverse pas.  Lila n'est pas programmée pour tomber amoureuse de lui.  Ces choses-là sont inscrites dans la mémoire morte d'un ordinateur.  Lila ne le reconnaît pas au sens informatique du terme, exactement comme certains ordinateurs ne peuvent lire un document ou ouvrir certains disques.  Il ne rentre pas dans ses paramètres.  Dans sa configuration.»

Delphine de Vigan, Les heures souterraines, JC Lattès, p. 22


«Il avait oublié à quel point il était vulnérable.  Est-ce que c'était ça, être amoureux, ce sentiment de fragilité?  Cette peur de tout perdre, à chaque instant, pour un faux pas, une mauvaise réplique, un mot malencontrueux?  Est-ce que c'était ça, cette incertitude de soi, à quarante ans comme à vingt?  Et dans ce cas, qu'existait-il de plus pitoyable, de plus vain?

Delphine de Vigan, Les heures souterraines, JC Lattès, p.60


«Il espère lui manquer, comme ça, d'un seul coup.  Un vide vertigineux qu'elle ne pourrait ignorer.  Il espère qu'au fil des heures elle soit gagnée par le doute, qu'elle prenne peu à peu la mesure de son absence.  Il voudrait qu'elle se rende compte que jamais personne ne l'aimera comme il l'aime, par-delà les limites qu'elle impose, cette solitude fondamentale qu'elle oppose à ceux qui l'entourent mais n'évoque qu'à demi-mot.»

Delphine de Vigan, Les heures souterraines, JC Lattès, p.63


«La relation amoureuse peut-être se réduisait à ce déséquilibre : dès lors qu'on voulait quelque chose, dès lors qu'on attendait, on avait perdu.»
 
Delphine de Vigan, Les heures souterraines, JC Lattès, p.  152


«L'échec amoureux n'est ni plus ni moins qu'un calcul coincé dans les reins.  De la taille d'un grain de sable, d'un petit pois, d'une bille ou d'une balle de golf, une cristallisation de substances chimiques susceptible de provoquer une douleur forte, voire insoutenable.  Qui fnit toujours par s'éteindre.»

Delphine de Vigan, Les heures souterraines, JC Lattès, p.153-154


 Merci, Madame de Vigan.





dimanche 1 juin 2014




À la fin de l'automne dernier, mon ergothérapeute d'alors tentait tant bien que mal de me trouver des activités qui me plairaient afin de me sortir de mon état comateux et de mes tendances de larve.  Elle m'a suggéré de me mettre au bénévolat.  L'idée ne me repoussait pas, mais étant libraire, ça ne me disait pas vraiment de subir encore les relations avec le public.  Elle a fait l'énumération de plusieurs organismes.  Rien ne m'attirait vraiment.  Puis elle a nommé la SPA et le refuge Adoption Chats Sans Abri.  Mes yeux se sont allumés d'un coup.  Et elle l'a tout de suite remarqué.  Je lui ai signifié mon intérêt pour le centre ACSA, que j'avais visité une fois et que je suivais depuis quelque temps sur leur page Facebook.  Je me suis dit que j'allais leur proposer mes services.  Je leur ai écrit et on m'a répondu qu'ils avaient toujours besoin de bénévoles...  Je suis donc allée remplir le formulaire et j'ai commencé la semaine suivante.

C'était un matin de début décembre, le 1er ou le 2, je ne me souviens plus.  D'un coup, en me levant, je n'avais plus envie d'y aller.  Je redoutais les rencontres avec les autres bénévoles, me disait que je serais nulle avec les chats et que tous me détesteraient, que je n'aurais pas le tour, que je n'apprendrais pas assez vite, que je ferais tout tout croche, que je n'aimerais pas ça finalement, que je ferais mieux de rester dans mon lit (il était si tôt!)...  Je me demandais vraiment pourquoi je m'efforçais à faire tout ça alors qu'il serait beaucoup plus facile de dormir.  Mais comme je m'étais engagée envers le centre à au moins essayer, j'y suis allée.  En marchant sur la 9e rue dans Limoilou, j'ai failli rebrousser chemin plusieurs fois.  J'aurais pu tout simplement ne pas me présenter, ne pas me manifester et ils n'auraient plus jamais entendu parler de moi.  Tout d'un coup, j'avais un but et je ne pouvais pas supporter la pression qu'il engendrait en moi.  Mais ce matin-là, je me suis montré la face et aujourd'hui, je suis très contente de l'avoir fait.

C'est Danielle, l'animalière du groupe, qui est venue m'ouvrir.  Elle m'a adressé un des sourires les plus chaleureux qu'on m'ait adressé de toute ma vie.  Sérieux.  Nous nous sommes présentées l'une à l'autre, puis elle m'a montré les chats et m'a fait rencontrer Mélia, la bénévole qui m'indiquerait quoi faire et comment le faire.  Dans le fond, le matin on ne fait que torcher des cages, s'amuser avec les chats, les nourrir, laver les doudous, faire la vaisselle, prendre une pause devant un café ou un lait au chocolat (que j'ai introduit au refuge, et je n'en suis pas peu fière!), on rit, on déconne, on flatte les mascottes, Séréna et Daniel, on passe la balayeuse et la moppe et J'AIME ÇA.  J'ai aimé ça dès le premier matin.  C'est le seul endroit où je me sens bien en tout temps, peu importe ce qui me tourmente avant d'y pénétrer ou après en être sortie.

J'y vais une ou deux fois par semaine, quand je ne suis pas trop malade ou que je n'ai pas trop mal à la tête ou que je ne suis pas prise dans une tempête au Nouveau-Brunswick.  J'ai eu des préférés dans le groupe.  D'abord Danielle, la dynamique qui me dit souvent que je travaille bien et qu'elle aime ça travailler avec moi et qui sait comment agir devant n'importe quelle situation.  Ça me donne le goût de continuer.  Elle me fait rire quand elle fait parler les chats et leur donne un air faussement fru en les faisant sacrer.  Et j'aime quand Joël me dit qu'il me fait confiance, lui qui est si professionnel.  Mais je me suis aussi attachée à tous nos petits pensionnaires, certains plus qu'à d'autres.  Surtout à Roméo, un persan noir.  C'est le premier chat à la coupe lion que j'ai trouvé cute.  Avant, j'exécrais cette coupe.  Maintenant, je trouve qu'elle va bien à plusieurs chats.  Roméo n'aime pas ses compatriotes, il a dès le départ eu de la difficulté à s'intégrer au groupe et s'est mis à en attaquer quelques-uns.  Danielle venait de terminer de rénover une pièce à l'arrière de la salle d'adoption et l'a installé là.  J'allais le voir presque tous les jours après avoir complété mes tâches, et souvent Danielle me «l'assignait» parce qu'elle savait que je l'aimais bien.  Je n'avais qu'à m'asseoir en indien par terre, taper sur mes genoux en disant son nom et il venait tout de suite me rejoindre pour des caresses.  Il avait beau haïr les autres chats, les humains, eux, il les adorait.  Je crois que j'aurais pu rester des heures à le flatter et il ne se serait pas tanné.  Il était assez joueur aussi à ses heures.  Je l'aurais adopté sur-le-champ si je n'avais pas déjà deux chats chez moi, avec lesquels je savais très bien qu'il ne se serait pas bien entendu.  Quand il a fini par être adopté, j'ai pleuré.  Pour vrai.  Je suis restée avec lui longtemps, j'ai pris des photos de nous deux et je lui ai dit au revoir.  Puis je me suis dit que je ne m'attacherais plus autant à aucun autre chat qui serait de passage à l'ACSA.

On en voit de toutes les sortes, au refuge.  Comme la petite sauvageonne, Souris-Mini, avec laquelle il fallait d'abord mettre des gants pour laver sa cage.  Maintenant, elle se laisse approcher et sort même parmi les autres chats.  Elle est toute petite et très mignonne.  La belle Aline, qui semble toujours nous regarder en disant «Ne me fais pas mal!».  Elle se laisse flatter sur le dessus de la tête, en ce qui me concerne.  Ralph, le porteur du VIH si doux.  Les deux plus farouches, Picotine et Agathe, qui se sauvent aussitôt que tu les regardes.  Grissom, le tannant trop gourmand.  Greg, l'imprévisible.  Pouchkine, l'Himalayen cardiaque aux si beaux yeux bleus (et j'adore les chats et les chiens à la face écrasée, oui).  Louise, la Louise, la fatigante qui miaulait jusqu'à ce qu'on la sorte de sa cage et qui après foutait la marde dans l'adoption.  Ma'am Reno, qui est malheureusement décédée des suites de son diabète avant d'avoir eu la chance d'être adoptée.  Et M. Poupouces, dont la troisième paupière était déchirée et qui ne pouvait ouvrir les yeux quand il est arrivé au centre.  Il a subi une opération et nous avons pu voir ses beaux yeux verts avant qu'il ne soit adopté.  Il roucoulait toujours quand on s'approchait de lui.  Et plein d'autres comme ça, qui sont tous arrivés avec une histoire et sont repartis en en débutant une autre.

Ces chats, ces gens et ce centre sont une de mes rares raisons de vivre, par les temps qui courent.  Merci.


Roméo et moi