vendredi 31 mai 2019






Choses sur lesquelles on peut toujours compter en ce bas monde car elles reviennent tout le temps : 

  • les comptes à payer
  • la faim
  • la saleté
  • la poussière
  • la bêtise humaine
  • la publicité
  • les modes
  • les poils
  • les préjugés
  • les jours de la semaine
  • les mois
  • les discussions sur la température
  • la fatigue
  • le doute
  • l'émission Découverte








jeudi 30 mai 2019





Il n'y a rien comme être paumé pour prendre l'habitude de ne rien gaspiller et cultiver l'art de tirer profit de tout ce qui traîne dans un frigo ou un garde-manger.  La pauvreté peut stimuler l'imagination  et engendrer une débrouillardise culinaire encore là insoupçonnée chez certains individus, dont moi.

Extraits de monologues intérieurs captés lors de fouilles dans ma cuisine :

«Ma foi, cette cacanne de pêches achetée il y a une décennie et bêtement ignorée depuis me semble toute désignée pour un succulent déjeuner ce matin.»
«Ces pâtes longues débordant de leur emballage fendu durant l'un ou l'autre de mes deux précédents déménagements rempliraient sans aucun doute ce creux qui pèse dans mon estomac.»
«Le beurre, cet ingrédient passe-partout, vraiment.»
«Ouais ben fuck le guide alimentaire canadien hen, peu importe la version.»
«Va-quoi?  Variété?  Sooooo overrated!»
«C'est le moment ou jamais de devenir végétarienne, ou même vegan.» 
«Meuh non, ces céréales du troisième âge ne sont pas sans saveur ni texture, voyons...» 
«Cette portion que je mangerais sur-le-champ puisque mon appétit n'est pas satisfait fera un excellent repas demain, oui oui.»

Notez bien que ce genre de situation peut également aiguiser les sens de l'autodérision et de l'exagération.










samedi 25 mai 2019







C'était en janvier 2017.  Mon psychiatre me l'avait proposé, m'avait fourni de la documentation, m'avait laissé du temps pour y penser.  Il m'en avait déjà parlé lors d'un précédent épisode dépressif majeur, m'avait demandé de considérer cette avenue.  J'y avais réfléchi, puis j'avais refusé.  À l'époque, j'ai eu trop peur.  Mais il y a deux ans, j'ai décidé de tenter le coup.  Dans ma tête, il n'y avait alors plus d'autre option possible.  À part mourir.  Partir, juste arrêter.  Tout.

Je précise : on ne m'a pas forcée.  J'ai été conseillée, épaulée, mais je n'ai senti aucune pression ni obligation de la part de qui que ce soit.  On m'a fait signer des papiers pour confirmer que je consentais au traitement, lequel je pouvais cesser à n'importe quel moment.  Malgré mon état d'engourdissement et le fait que j'étais en train de me noyer dans un néant total, mon choix était éclairé.  

Une fois ma décision prise, il y a eu des semaines d'attente.  J'ai continué de m'informer sur la procédure et j'ai rencontré le psychiatre qui se chargerait de moi.  Il m'a mise en confiance.  Je me souviens m'être dit que ce devait être un peu comme ça, attendre une greffe.  Espérer trouver dans l'usagé quelque chose pour repartir à neuf.  Un organe étranger pour se sauver.  Moi je misais sur une réinitialisation du mien.  Je me sentais coupable de souhaiter passer en premier, je me disais que mon cas était moins grave que d'autres.  Mais je voulais que ça se fasse, et vite.  Je m'imaginais que c'était comme anticiper la chimio ou la radiothérapie.  Rêver au traitement sensé raviver les molécules défectueuses, sensé détruire le pourri.  Puis je me sentais coupable parce que je me disais que ce serait du gaspillage de temps et de ressources médicales si ça ne fonctionnait pas.  Parce qu'il y a toujours l'éventualité que ça ne change rien.

Je désespérais : est-ce que quelqu'un, quelqu'un, quelqu'un, est-ce que je vais, à un moment donné, retrouver le goût, le quelque chose, l'envie, la vie?  Je voulais mordre.  Me geler.  Dormir.  Effacer tout.

En mars, on m'a appelée pour m'annoncer que les séances débuteraient bientôt.  Je suis alors vite embarquée dans ma nouvelle routine matinale : trois fois par semaine, ma mère et moi nous rendions à l'hôpital à l'aube.  On venait me chercher et elle m'attendait de l'autre côté des portes battantes.  Je me déshabillais, j'enfilais une jaquette.  Une infirmière me perçait le bras et me barbouillait les tempes de gel.  Couchée sur une civière, j'attendais mon tour dans le corridor puis on me faisait rouler dans la salle d'opération.  J'observais l'anesthésiologiste m'injecter une puissante drogue.  Je m'endormais.  Je me réveillais.  J'attendais qu'on m'enlève le soluté.  Je me rhabillais.  Je ressortais dans l'air froid et piquant de l'hiver.  Je rentrais chez moi.  Je me lavais les cheveux pour enlever le gluant.  Puis je me recouchais pour essayer de faire passer le mal de tête.

À mon réveil la première fois, l'infirmière m'a dit que ça s'était bien passé.  Que j'avais bien fait ça, que j'avais bien «convulsé».  J'avais trouvé la remarque particulière.  Je m'étais demandé si je devais la prendre comme un compliment.  Mais je devais la croire sur parole, parce que j'en avais aucune idée.  Il me prend parfois des envies d'avoir vécu le choc.  D'avoir senti les secousses.  Comme les gens dans le temps.  Puis je me ressaisis et je me dis que ça n'a sûrement rien d'agréable, gigoter sur une table devant des inconnus tandis qu'on nous charge du courant dans le corps.

Je ne revisite pas souvent cette période.  Elle demeure très floue pour moi et elle restera incomplète à jamais.  Il m'en manque des bouts.  Il ne me reste en tête que la pénombre du petit matin, les tas de neige bleu gris, le stationnement glacé.  Les murs laids de l'hôpital, les corridors muets.  J'avais été prévenue que les chocs pouvaient entraîner des pertes de mémoire.  C'était une de mes plus grandes craintes face au traitement.  Je ne voulais pas qu'on me dérobe des moments qui m'étaient précieux, mais plusieurs heures de ma vie se sont envolées.  Elles ne m'appartiennent plus.  J'avais l'intention de tenir un carnet tout le long du traitement.  Je l'avais débuté la veille de la première séance.  Je n'ai écrit que trois ou quatre fois dedans.  C'est qu'on a ni force ni concentration entre les décharges.  

Je ne me rappelle plus à quel moment j'ai commencé à perdre la carte.  Beaucoup de jours n'ont pas eu lieu pour moi.  Puis ce samedi-là est arrivé et plus rien n'a eu de sens.  J'ai confondu mes parcours d'autobus habituels.  Je me suis embarrée à l'intérieur de mon propre appartement.  J'ai oublié le chemin pour retourner chez moi après le cinéma. Comment bouger et reprendre mon souffle après un cauchemar.  Un bout de mon esprit s'est sauvé avec des informations cruciales que je croyais pourtant indélogeables en moi. 

On a décidé de mettre fin au traitement avant la date prévue.  Je me souviens que c'est mon parrain et ma marraine qui m'ont accompagnée à l'hôpital cette fois-là.  Ils m'ont ensuite amenée chez eux.  Nous avons fait un casse-tête.  Le reste est un grand trou.  Il n'y a pas eu d'avril pour moi cette année-là.  J'ai été déstabilisée par tout ce vide, qui n'était pas comme celui que je ressentais avant.  Encore aujourd'hui, quand je pense à ces ellipses, j'ai le vertige.  Les morceaux qu'on m'a arrachés me manquent parfois, même si je ne sais même pas à quoi ils se rattachent.  

Malgré que tout ait dégringolé, les électrochocs ont eu des effets bénéfiques sur moi.  Je me porte mieux depuis.  Je n'ai pas rechuté.  Je ne saurai jamais vraiment si c'est uniquement grâce à ça.  Je ne sais pas non plus si mon mal reviendra un jour ou si j'aurai à nouveau besoin du traitement, ni si j'accepterai de le subir à nouveau.  Ça a été pénible.  Ça a été freakant.  On aurait dit que je me chamaillais avec quelqu'un, quelqu'un qui prenait toute la place lorsque j'étais allongée et branchée, quelqu'un qui partait avec toute ma lucidité et mes souvenirs.  C'était comme si on se disputait mon corps.  Cette personne voulait rester et moi je voulais revenir.  Parce qu'après tout, comme beaucoup d'autres gens suicidaires, je ne voulais pas mourir.  Je voulais être bien.  Ne pas souffrir.

Maintenant je le suis.  Pour l'instant je ne souffre pas autant.  C'est peut-être temporaire, mais je suis en train de battre mon record de longévité de bien-être.  Et si ça durait encore longtemps, ou même infiniment?








dimanche 19 mai 2019





Ma grand-mère maternelle est décédée à pareille date il y a maintenant quatre ans.  Je me souviens vaguement du coup de fil reçu m'annonçant qu'elle était de nouveau rendue à l'hôpital.  Et que cette fois-là elle n'en sortirait pas vivante.

Je me rappelle alors m'être demandé, tandis que je me préparais pour aller rejoindre ma famille et être à ses côtés : «Qu'est-ce qu'on fait quand on apprend que sa grand-mère est à l'hôpital et qu'on nous dit qu'elle ne passera probablement pas la nuit?  Comment vivre cette attente et supporter qu'on ne puisse rien changer au dénouement?  Peut-on vraiment se divertir et vaquer à d'autres occupations?  Dormir?  Penser à autre chose, rire?  Doit-on pleurer durant tout ce temps?  Quoi faire, vraiment?  Se remémorer sa Granny, s'imaginer et refaire sa vie, revoir nos moments avec elle?  Ces heures à attendre doivent-elles devenir un hommage?  Un recensement de ses grandes actions?  Doit-on devenir grave et mettre de côté tout le reste?»  Puis je me suis demandé si j'avais le droit de me poser ces questions-là, ou si la réaction appropriée devait être plus naturelle, spontanée.  Si je devais regretter de ne pas l'avoir appelée comme je me jurais de le faire plus souvent.  Je réfléchissais et je me disais : «Sommes-nous tous vraiment en train d'attendre sa mort, bêtement et platement?  Tout en souhaitant repousser cet instant?  Est-ce qu'on devrait simplement l'accepter et se dire que c'est peut-être mieux ainsi, mieux pour elle?  Se dire que le temps est venu, de façon tout aussi bête et tout aussi plate?  Qu'est-ce qu'on peut se dire?  Qu'est-ce qu'on peut penser, dans ces moments-là?»

J'ai passé les jours suivants à l'hôpital.  Ceux qui ont pu et qui l'ont voulu sont venus la voir.  Tous ces rassemblements provoqués par sa mort prochaine ont été, pour moi du moins, affreusement beaux et douloureusement réconfortants.  Nous avons rigolé.  Granny a gardé son sens de l'humour jusqu'au bout.  Je la revois encore jeter un oeil désapprobateur mais taquin à ma mère lorsque celle-ci s'est accrochée dans un des fils la reliant à une quelconque machine.  Je revois encore ses sourires faibles mais toujours aussi chaleureux lorsque des nouveaux arrivants débarquaient dans sa chambre.  Je l'entends encore me glisser quelques mots, puis insister pour qu'on ne chuchote pas devant elle parce qu'elle voulait suivre toutes nos conversations.  Et j'entends mes oncles et mes tantes lui chanter ses chansons préférées, tous agglutinés autour de son lit.

J'ai eu la chance de lui dire adieu et de la remercier pour la famille qu'elle m'a donnée.  J'ai eu l'occasion de jaser, potiner, rire et pleurer en sa compagnie juste avant qu'elle parte.  Et j'ai aussi eu le plaisir de côtoyer cette grande femme si spéciale pendant 30 ans.  Ma Granny, c'était la meilleure.

Hello, dear.  Wherever you are.



J'aime TELLEMENT cette photo, prise lors d'un des derniers soupers en sa présence, en mars 2015.  On a l'air un brin tatas.
(© Jean-Yves Blanchette)

  

vendredi 17 mai 2019





J'aime...

  • les oeufs fondants Laura Secord;
  • le roman Roux clair naturel de Fanie Demeule (Hamac), une consoeur d'édition.  Dans ce deuxième roman, l'auteure nous fait tremper dans une histoire de mensonge.  C'est fou tous les moyens dont se sert la narratrice pour entretenir l'illusion parfaite d'une chevelure rousse naturelle vis-à-vis son amoureux, tous les efforts déployés et les détours qu'elle prend pour bien couver la vérité.  Cette obsession de légitimer sa rousseur devient rapidement violente et malsaine.  Comment avouer avoir berné pendant si longtemps quelqu'un qu'on prétend aimer?
  • quand les gens sont libres d'être ce qu'ils sont.  C'est la Journée internationale contre l'homophobie et la transphobie.  Aimez-vous donc tous pis laissez les autres tranquilles;
  • A fawn at dawn, projet musical de mon ami Dimitri et son pote David.  C'est tout en douceur, tout en nostalgie, écoutez ça! 



Je n'aime pas...

  • les espadrilles blanches qui font un retour en force depuis déjà un peu trop longtemps, autant pour les hommes que pour les femmes;
  • le logiciel Excel.  Plusieurs doivent s'extasier devant cet univers de possibilités dans le domaine des tableaux et des graphiques, mais moi ça me donne envie de pleurer.  C'est beaucoup trop complexe pour ma petite tête;
  • les lois anti-avortement;
  • avoir appris la mort de Grumpy Cat ce matin.  R.I.P. Tardar Sauce.

Mes hommages.







mercredi 8 mai 2019







Constats post-transcription :

  • Les gens jasent.  Beaucoup.
  • Je suis lente.
  • Les gens se répètent tellement.
  • J'ai une capacité de concentration de très courte durée.
  • Les gens parlent en même temps et se coupent la parole régulièrement.
  • Développer une discipline de travail m'est très difficile.
  • Les gens utilisent des mots ou des expressions qu'ils insèrent dans chacune de leurs phrases, et je ne parle pas que des adolescents («t'sais», «comme», «je veux dire», «genre», «là», parfois tout ça dans une même suite).
  • Beaucoup ne terminent pas leurs phrases, partent sur une autre idée et des fois ne reviennent même pas sur la proposition de base.
  • Faire mon propre horaire et le respecter est une épreuve pour moi.
  • Plusieurs personnes (plus que je croyais) prononcent «gensses».
  • Il y a des accents qui ne sont pas évidents à déchiffrer.
  • J'aime transcrire.









mardi 7 mai 2019





J'aime...

  • Woody Belfort.  Quel homme drôle, persévérant, allumé, optimiste, fort, intelligent et à l'enthousiasme et la motivation contagieux!
  • faire du lavage.  Étendre le linge pour le faire sécher, le plier et le replacer dans mon garde-robe ou mes tiroirs me détend.  Je n'ai pas besoin d'en faire si souvent été donné que j'habite seule, alors on dirait que ça m'excite un brin de retrouver une pièce de vêtement portée il y a de cela jadis et d'anticiper le moment où je vais la remettre (on s'énarve avec les choses qu'on peut, hen);
  • quand la technologie fonctionne de manière fluide et efficace;
  • l'album Broken Politics de Neneh Cherry.  Merci l'ami et ex-collègue David-Maxime d'avoir partagé sur Facebook!



Je n'aime pas...

  • le PFK.  J'ai jamais aimé ça.  Je trouve ça dégueulasse.  Et puis quelle sorte de vert fluo-hypnotisant-psychédélique-mortel que c'est ça, la salade de chou?!  Ça me rappelle la marre maléfique dans Les Zigotos.  Toute leur bouffe a une consistance et une texture douteuses.  La salade de macaroni.  La sauce.  Cette sauce.  Qu'est-c'est ça?!
  • ne pas être choisie dans les concours d'écriture ou pour les résidences d'auteur(e)/autrice/comme vous voulez;
  • l'obsolescence programmée;
  • Okoumé.  La musique, les paroles, tout.










jeudi 2 mai 2019





C'est une journée où rien ne tient plus que quelques minutes d'affilée.  Ma concentration.  Mon intérêt.  Mes envies de bouffe.  Mes poses.  Je saute d'une idée à l'autre, du divan au fauteuil à mon lit, d'un chat à l'autre, d'une page à l'autre.  Je tape les lettres dans le désordre.  Je suis une ennuyée distincte.  D'un ennui commun.