dimanche 28 septembre 2008





J'ai 65 ans. Une petite peau de parachute. Rugueuse et lisse tout à la fois. J'ai des attentes envers les gens, comme tout le monde. Je pétris mes déceptions et me dis qu'encore une fois, j'en demande trop.

J'ai 65 ans, et je suis comme ça. Ronde et recourbée. Je danse encore, quand mes jambes me le permettent. Seule, oui. Je ne sors plus. Il fut un temps où les hommes se bagarraient pour avoir l'honneur de m'inviter à valser. Un temps où c'était moi qui choisissais. Et je prenais plaisir à sourire avec pitié à tous ceux que j'avais rejetés.

J'ai 65 ans et j'ai en horreur toutes les phrases qui débutent par «Il fut un temps». Je n'aime pas m'avouer vieille. J'ai des cheveux de mouton, épais et blanc laid. Tous mes jours sont comme les dimanches de mon enfance : longs, mornes et grisâtres sous l'ombre menaçante du retour à la routine d'une semaine d'école.

J'ai 65 ans. J'aimerais mourir, mais on ne m'en laisse pas le droit. Je ne souhaite pas souffrir, non. Juste dormir, à tout jamais. Je sais que ça se fait, mon amie Corinne a entendu parler de suicide assisté, de gens que l'on fait dormir pour toujours, comme les chiens.

J'ai 65 ans et je ne me suis jamais mariée. Mon fiancé est mort avant nos noces.

J'ai 65 ans. Je suis vierge. À peine l'ai-je embrassé, cet amoureux de ma jeunesse. Avec lui, j'aimais beaucoup danser. Ses mouvements étaient fluides, jamais brusques. Il m'a sûrement aimée. Il a peut-être soufflé mon nom lorsque la mort l'a tiré vers elle. On ne me l'a pas dit. Je me rends compte maintenant que je n'ai jamais voulu savoir.

J'ai 65 ans, et je suis triste de n'avoir jamais appris à conduire. Je pourrais alors peut-être sortir, le soir. Et aller danser. Puis sourire aux hommes auxquels j'aurais refusé d'accompagner. Je pourrais repartir avec celui que j'aurais choisi, et je pourrais le laisser me faire l'amour.

J'ai 65 ans, une peau de parachute et des cheveux de mouton. Je suis triste et lasse, et j'aimerais qu'on me fasse dormir. Comme un chien. À jamais.






1 commentaire:

  1. oh comme j'aime cette petite femme. cette femme minuscule, si je peux me permettre le jeu de mots laid et pervers. il est tard, il faut me pardonner.

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