jeudi 7 juin 2007

Ceux qui en ont déjà entendu parler (vous devez être nombreux, j'ai tellement chialé contre lui...) riront peut-être en lisant ce texte qui rend «hommage» à Léopold Livingston, l'oiseau que ma soeur et moi avons sauvé de l'abandon et d'une mort certaine en août 2005. Ce perroquet déplumé s'est avéré être une bête féroce et détestable! Maintenant que lui et moi ne cohabitons plus, nous semblons mieux nous entendre, si je me fie à dimanche dernier et aux heures que nous avons passées à nous bidonner. N'empêche, cher poulet-pas-cuit, il y a eu de ces instants où je t'aurais fait mal, mais MAL...


Que de plumes…


Cet après-midi, je suis seule avec mon oiseau, cette bête au porte-voix en trop. Personne d’autre n’y est pour le divertir ou pour lui dire de se taire. Car il faut préciser que ce minuscule perroquet Quacker, soit le plus petit qui existe en ce qui concerne cette catégorie de volatiles, est capable de pousser des signaux sonores qui représentent l’incarnation pure de l’hystérie. Je peux ainsi affirmer que Léopold Livingston – il s’agit bel et bien de son nom – est en mesure de produire des bruits capables de faire naître une folie intense chez ceux qui l’entourent, de la faire bouillonner au plus profond de leurs tripes et de la propager dans chacune de leurs veines.

Voulant profiter des rayons de soleil de fin d’hiver qui s’étirent et s’enfoncent à travers les rideaux de la fenêtre donnant dans la salle à dîner, je pense à m’installer à la grande table pour lire. Je suis consciente que la bestiole à plumes d’un vert criard siège sur la petite poutre en bois logée dans sa cage qui trône dans un coin de ladite pièce. Je décide tout de même de le défier, cet oiseau hurleur, en envahissant l’espace qui lui est réservé et de pousser l’audace jusqu’à me placer devant lui.

Je me dirige donc, menton perché et épaules droites, vers le lieu ciblé. Dès mon entrée dans l’espace ensoleillé, j’ai droit à quelques notes stridentes typiques d’un accueil à la Quacker égocentrique. Je lui envoie un gros «Bonjour, bonjour!», question de faire preuve d’un brin de front. Afin qu’il saisisse bien la raillerie, je lui lance une grimace immature, postillons en prime, tout en m’approchant de sa cage. Mon rival réplique aussitôt par des coups de bec rapides et secs, mais les barreaux de son habitacle ne lui permettent pas de m’atteindre. Gros Bec Impuissant doit donc se résigner à mordre de l’air et du fer.

Satisfaite de cette entrée en matière, je m’assieds sur une des chaises qui font face à Livingston tandis qu’il se démène dans un va-et-vient frénétique, se promenant de droite à gauche sur son maigre poteau tout en se dédiant à des exhortations discordantes. J’appuie mes coudes sur la surface de la table et lui adresse un de mes «Hey, hey, hey!» les plus menaçants. La créature arrête son mouvement, réplique de sa voix nasillarde, qui se veut la copie conforme de mon intonation, un «Hey». Il se tourne vers moi et m’observe de ses petits yeux noirs qui clignent de temps à autre. Mon ennemi se met à battre des ailes à répétition, comme s’il cherchait à s’envoler. Et il gueule. Fort.

Je ferme les yeux, ne voulant pas être témoin d’un tel délire. Ce spectacle, je ne l’ai vu que trop souvent. Je me dis que cet oiseau a pour mission de me dérober la raison. Il n’est pas question que je le laisse faire. Je me lève et lui décerne un second avertissement, un «Hey là!» qui se veut ferme. Sans crier. Parce qu’il ne faut pas crier après les perroquets. Eux seuls ont le droit de faire vibrer les murs, à ce qu’il paraît.

Il n’arrête pas. N’en pouvant plus, je m’approche de cet être démoniaque aux joues grisâtres. De sa gorge sortent des accords faux de plus en plus dérangeants. Mes yeux doivent jeter des ondes de fureur, je le vois qui se met à trembler.

Sans hésiter, j’ouvre la barrière de sa résidence. Livingston se met en mode défensif, décochant à mes doigts de nombreux crochets de son bec. Je ne recule pas, même si la douleur me pince jusqu’aux coudes. Je vois apparaître sur mes mains de minces filets de sang qui dégoulinent.

De chaudes larmes de rage me brûlent les yeux et m’embrouillent la vue. Mais il ne m’aura pas. Pas cette fois. Je réussis à saisir l’animal. Je ne veux pas qu’il se sauve, je ne veux pas qu’il m’échappe. Je me jure à moi-même qu’il ne s’en sortira pas vivant, qu’il payera pour toutes les fois où il a troublé mon besoin de paix et de silence.

De ma main droite, je tire sur ses plumes une à une, tandis que de ma main gauche je lui coince les os et la peau. Il hurle alors comme il ne l’a jamais fait. Un cri libérateur réchauffe mon intérieur et gronde jusqu’à s’expulser de ma bouche.

Ses plaintes s’espacent de plus en plus. Il n’y a plus de plumes sur son corps, elles sont toutes dispersées autour de nous, sur le plancher, dans sa cage, sur mes vêtements. Tout plein de plumes vertes, quelques-unes bleues et d’autres grises, toutes tachetées de sang, qui collent à ma peau, à mon visage.

Je me tais. La pauvre bête tente, à l’aide de ses deux petites pattes qui gigotent, de se libérer de mon emprise. Épuisée, elle laisse échapper un dernier couinement faible.

Je fixe Livingston tandis qu’il agonise. Un courant de remords m’assaille, mon estomac bascule. Je vomis alors que je le tiens toujours entre mes doigts. Une fois la secousse passée, je m’aperçois que je ne l’ai toujours pas achevé, et qu’il souffre encore.

Je décide d’en finir. Je saisis sa petite tête tranquillement. Il n’a même plus la force d’ouvrir le bec pour tenter de m’érafler la peau au passage.

Je serre, puis je tords.

Voilà. Il ne pourra plus crier maintenant.

(Avril 2006)

2 commentaires:

  1. je voulais juste te dire que je pense à toi, en ce moment. :)

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  2. Comme c'est gentil :)

    Moi aussi, j'ai pensé à toi aujourd'hui, et je n'ai pas oublié que je devais t'écrire... Je vais le faire à l'instant.

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